Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/222

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Et quand il remonta sur le pont, pâle encore de l’effroyable angoisse subie, l’Empereur lut dans son esprit. Il devina la souffrance aiguë du sacrifice, il comprit que jamais plus grande preuve de dévouement ne lui avait été donnée. Aussi, sa main se tendit, paternelle, vers le jeune homme, et il prononça d’un ton ému :

— Merci, Espérat.

Une rougeur ardente monta aux joues de l’héroïque adolescent. Un mot de l’Empereur l’avait payé de toutes ses souffrances.

Dans l’explosion de joie de tous ceux qui se trouvaient là, des soldats dansaient sur le pont, et les bras étendus vers l’horizon lointain derrière lequel se cachaient les côtes de Provence, ils disaient :

— La mer est libre, libre jusqu’à la côte de France. Ceux qui sont là-bas, rassemblés sur la grève, cachés dans les forêts des montagnes, attendant dans les villes, nous verront arriver avec allégresse. L’Empereur sera bientôt au milieu d’eux et nous conduira tous à la victoire.

Les marins n’avaient pas moins d’enthousiasme.

Et le soir, tous considéraient comme une certitude absolue, l’arrivée en France sans nouveaux obstacles. Les soldats saluaient Napoléon chaque fois qu’ils passaient près de lui. Le sentiment qu’il leur inspirait, confinait à la vénération.

De fait, l’événement sembla vouloir donner raison à ces braves gens.

Au soir du 27 février, la croisière française avait cessé d’être en vue. Le 28, on gouverna dans le golfe de Gênes, sans autre rencontre qu’un vaisseau de 74 canons qui ne s’occupa aucunement de la flottille.

Enfin le 1er mars au matin, on découvrit la côte de France ; à midi on signalait Antibes et les îles Sainte-Marguerite ; à trois heures, on mouillait dans le golfe Jouan.