Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/233

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Et tous, sans vouloir rien entendre, s’élancèrent dans la direction d’Antibes, entraînant leur capitaine.

Le pitre et son jeune compagnon restaient seuls dans la redoute évacuée. Ils revinrent lentement vers le campement, où ils retrouvèrent Henry arrivant d’Italie.

Quand ils y parvinrent, généraux, officiers, soldats et partisans formaient le cercle. Au centre, l’Empereur, debout sur une table, parlait :

— Deux routes s’offrent à nous pour gagner Paris : l’une, facile d’apparence par Marseille et la vallée du Rhône ; l’autre montagneuse, hérissée de difficultés, la route du Dauphiné. Pourtant je choisis cette dernière. Pourquoi ? Parce que vers Marseille, je rencontrerais des troupes nombreuses, commandées par des généraux qui ont prêté serment aux Bourbons. Avec vous, mes braves, nous passerions, je le sais ; mais le sang français coulerait et cela je ne le veux pas.

— Vive l’Empereur, rugirent les assistants, pris d’une fanatique admiration pour le conquérant si ménager de la vie des Français.

— Par la voie du Dauphiné, au contraire, rien de semblable à craindre. De petits détachements que notre seule présence ramènera à nous ; des populations patriotes et robustes qui ont divorcé pour jamais avec les doctrines royalistes. C’est par Grenoble, berceau de la révolution, c’est par Lyon que l’aigle, volant de clocher en clocher, parviendra jusqu’aux tours de Notre-Dame, jusqu’aux Tuileries.

Dans le grand silence, Napoléon demanda encore :

— Personne n’a-t-il d’objection à formuler ?

— C’est bien vu, répondit l’assistance d’une seule voix.

L’Empereur allait sauter à terre, quand une centaine de soldats parurent sur la route brandissant leurs armes en gestes joyeux.

Un factionnaire tout essoufflé fendit le cercle.

— Ce sont des fantassins du 87e, garnison d’Antibes, qui viennent rejoindre leur Empereur.

Des cris de bienvenue saluèrent ces militaires qui, les premiers de France, abandonnaient la cause des Bourbons.

En tête de la petite troupe, trottait un vieux sergent. Celui-ci vint à Napoléon… et avec la familiarité que le grand meneur d’hommes encourageait chez ses anciens compagnons d’armes.

— Ah ! mon Petit Caporal, je te revois donc enfin !

Il pleurait et c’était touchant et terrible de voir les larmes couler sur sa peau tannée par tous les climats, se perdre dans sa moustache grisonnante.