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IV

D’Artin use de sa liberté


Sur la mise en liberté de d’Artin, Bobèche avait dit ce qu’il savait, mais ce n’était là qu’une partie de la vérité.

Captif aux Trois Cigognes, le gentilhomme avait, en réalité, acheté la conscience fragile d’un marmiton.

Ainsi la gendarmerie, avisée, s’était empressée d’intervenir et de délivrer le prisonnier, trois jours après sa séquestration.

Quand M. de Rochegaule d’Artin se retrouva sur la route, libre, en selle sur un excellent cheval, il éprouva d’abord une sensation d’infinie béatitude, puis la réflexion mêla sa joie d’amertume.

Qu’allait-il faire ?

Sottement, — il employait lui-même cet adverbe, — sottement il avait donné tête baissée dans un piège. Il s’était laissé enlever la lettre du roi, cette lettre que, seul, M. de Talleyrand devait lire.

Or, le doute n’était point permis.

— Ce sont évidemment des partisans de l’usurpateur qui m’ont dépouillé, grommela-t-il. À quoi cela leur servira-t-il ?

Il réfléchit un moment.

— À Le prévenir là-bas, parbleu, à l’île d’Elbe.

Et avec colère :

— Ils ont trois jours d’avance sur moi. Je ne puis songer à les arrêter.

Dans sa préoccupation, il piqua de l’éperon les flancs de sa monture, qui pointa. Rappelé à lui par la secousse, il apaisa l’animal, et, ses idées changeant d’objectif :

— Songeons à moi, reprit-il. Quelle est ma situation ? Mauvaise, il n’y a pas à me le dissimuler. Du côté de l’Autre, je suis le messager du Roi, une bête noire. Du côté du Roi, je suis un maladroit qui n’a pas su garder une lettre dont le timoré souverain donnerait bien dix mille écus.