Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/26

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de cette année, Metternich, premier ministre de François, empereur d’Autriche, comptait parmi ses secrétaires, un certain Enrik Bilmsen affilié au Tugenbund[1].

Il se tut un instant, mais la jeune fille gardant le silence, il continua d’une voix tremblante :

— Cet Enrik Bilmsen possédait des lettres volées à la reine Hortense, fille de la bonne Joséphine de Beauharnais. Ces lettres contenaient des appréciations peu flatteuses pour Metternich, appréciations attribuées à Napoléon. Or, Metternich hésitait à faire marcher les Autrichiens contre la France, avec les Prussiens, les Russes, les Anglais, les Suédois, car détrôner l’Empereur, c’était aussi détrôner son épouse, Marie Louise d’Autriche. Il importait d’exciter son courroux. Le Tugenbund ordonna à Enrik de remettre au premier ministre la correspondance volée. Le drôle riposta en proposant un honteux marché.

La folle écoutait. Parfois une petite flamme s’allumait dans son regard. On eût pensé que certaines paroles de son interlocuteur arrivaient jusqu’à son esprit.

Espérat reprit avec énergie.

— Je donnerai les lettres, osa dire Bilmsen, si vous me donnez pour femme celle que j’ai choisie. Et celle-là, ma sœur, c’était toi, toi qui vivais auprès de notre père, au castel de Rochegaule, près Saint-Dizier. Tu avais deux frères, l’un, d’Artin, qui marchait contre la France, avec les armées de l’Europe ramenant Louis XVIII ; l’autre, moi, enlevé tout petit par d’Artin qui, déjà avide, craignait de partager avec moi, l’héritage paternel. Abandonné dans la campagne, recueilli par M. Tercelin, maître d’école de Stainville, j’avais grandi sous ces noms Espérat Milhuitcent, qui indiquaient le jour et l’année où l’on m’avait trouvé.

La voix du jeune homme faiblissait. Il y avait une angoisse dans le regard qu’il fixait sur Lucile.

  1. Voir dans la même collection, la Mort de l’Aigle.