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Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/260

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habitants apportent vivres, fourrages, qu’ils transportent dans leurs charrettes les hommes fourbus par une marche écrasante, soixante lieues en montagne en quatre jours.

— Le 5 mars au soir, nous entrons à Gap.

— Le 6, nous franchissons le défilé de Saint-Bonnet, par lequel nous passons du bassin de la Durance dans celui du Drac, affluent de l’Isère.

— Nous couchons le soir à Corps.

— Il reste à entrer à Grenoble et la partie est gagnée.

À ce moment, les causeurs rejoignirent l’avant-garde.

Le général Cambronne vint au-devant d’eux :

— Messieurs, dit-il, selon les ordres de l’Empereur, je vous ai escortés aussi loin que possible. Ici, je suis tenu de m’arrêter pour attendre le gros de nos forces. En me séparant de vous, permettez-moi de vous souhaiter bonne chance.

La gaieté d’Espérat, disparut soudain.

Brusquement, à son esprit, venait de se présenter l’image de d’Artin, ce frère ennemi, qui, d’après les renseignements fournis par le petit Jacob, avait juré de frapper Milhuitcent. Jusque-là, le jeune homme n’y avait pas songé. Pourquoi cette pensée lui venait-elle maintenant ?

C’est qu’il allait se trouver sur la route de Sisteron-Grenoble, seul avec le docteur Hémery, c’est-à-dire dans les meilleures conditions pour encourager un attentat. Non qu’il eût peur, son âme vaillante était incapable de crainte, mais rêver d’être assassiné par le vicomte d’Artin, par son frère, lui était insupportable. Cependant il serra la main de Cambronne et s’éloigna avec son compagnon.

Bientôt un détour de la route leur fit perdre de vue l’avant-garde de l’Empereur. Alors Milhuitcent se tourna tout à coup vers Hémery.

— M. le docteur, dit-il comme hésitant.

— Qu’est-ce ?

— Une prière à vous adresser.

— Une prière de vous à moi ?

— Oui. Je vous conjure de ne pas me demander d’explication, mais d’accéder à ma requête.

Le trouble du jeune homme n’échappa point au médecin.

— Je vous fais la promesse que vous désirez, certain que vous ne pouvez rien souhaiter que de noble et de juste.

— Merci, M. le docteur.

— Maintenant parlez, je vous écoute.

Le visage d’Espérat trahit l’embarras, puis la décision :