Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/273

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— Oui, Sire.

— Alors, en avant ! Et toi, mon dévoué, repars vers La Frey, dis à ceux qui me sont opposés que je viens…, que leur général vient ; que ceux qui oseront tirer sur les miens ou sur moi répondront à la France et à la postérité des événements résultant de leur attitude.

Puis, s’adressant à ses officiers :

— Que ma garde marche sur les bas côtés de la route, l’arme sous le bras gauche, le canon vers le sol.

Déjà Espérat avait fait volter son cheval couvert d’écume et s’élançait au galop dans la direction de La Frey.

Il lui sembla entrevoir au passage Bobèche et Henry ; il crut percevoir leurs appels ; mais à cette heure décisive, il ne se sentait pas le droit de retarder d’une minute l’exécution des ordres de Napoléon.

Il continua sa course folle.

Au pont de La Bonne, Cambronne et ses lanciers s’ébranlèrent derrière lui, et toute l’avant-garde traversa La Mure.

La Frey était déjà évacuée par le commandant Lessard, tellement peu sûr de sa troupe qu’il la ramenait à Grenoble, sans attendre l’approche de l’Empereur.

En voyant le nuage de poussière soulevé par l’escadron de Cambronne, Lessard se croit attaqué.

Il fait former le carré, ordonne de croiser la baïonnette, mais les lanciers approchent, le sabre au fourreau, et Milhuitcent en tête, s’écrie :

— Amis, ne tirez pas, c’est la gloire, c’est l’honneur de la France qui s’avancent.

Les soldats sont pâles, ils tremblent.

Ah ! non, ils ne tireront pas. Leurs yeux cherchent sur la route Celui qui a emporté leur âme en exil, et qui la leur rapporte en ce jour.

Ils l’aperçoivent.

Napoléon est parti, en avant de son infanterie. Accompagné de son seul état-major, il approche, et de cette voix nette, acérée, qui a galvanisé tout un peuple, qui a rendu possible l’impossible épopée :

— Soldats du 5e, me reconnaissez-vous ?

— Oui, oui, répondent-ils tous.

Alors il ouvre sa redingote et présente sa poitrine.

— Quel est celui de vous qui voudrait tirer sur son Empereur ?

À ces mots, un vent de folie paraît passer sur les soldats. Artilleurs, fantassins, se précipitent, se bousculent. Ils crient, ils pleurent, ils rugissent :