Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/281

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ressusciter la chouannerie, afin d’aider l’Europe, qui ne manquera pas de courir sus à l’Usurpateur.

— Peuh ! cela immobilisera 20.000 soldats. J’ai mieux que cela, ou plutôt, vous pouvez me fournir mieux peut-être.

— Moi ?

— Oui, digne Chenalières, pour tout dire en un mot, il me faut un traître.

— Un traître ; ah bien, vous n’aurez que l’embarras du choix. La police paierait cher mes livres de caisse. Ils contiennent la liste complète de tout ce que Paris renferme d’aigrefins, de chevaliers d’industrie…

D’Artin l’interrompit sèchement :

— Ce n’est point là ce que je veux.

Arrêtant une exclamation sur les lèvres de l’usurier.

— Il me faut un homme honorable, ayant des attaches parmi les partisans de Napoléon, en ayant également parmi les royalistes ; un homme susceptible d’occuper un poste élevé, de vivre dans le voisinage de l’Usurpateur.

Chenalières se gratta la tête.

— Un homme enfin que vous teniez par l’argent.

Un silence suivit. Avec un peu d’impatience, le comte reprit :

— Vous ne voyez pas ? Est-ce que le comte de Bourmont n’est plus au nombre de vos débiteurs[1] ?

À ce nom l’homme d’affaires sursauta :

— Le comte de Bourmont ?

— Vous doit-il encore ?…

— Oui, mais…

— Cela suffit, s’écria d’Artin coupant la phrase de son interlocuteur. Il a servi brillamment dans les troupes impériales ; il a des parents, des amis parmi les Vendéens, et il a un compte chez vous ; c’est au mieux. Dès demain, poursuivez-le à boulets rouges, réduisez-le à demander du service dans l’armée que l’ogre de Corse sera forcé de lever.

— S’il préférait partir pour la Vendée.

— Ceci n’est point à craindre. Au moment où la France va de nouveau avoir à lutter contre l’Europe, Bourmont considérerait comme une trahison de combattre contre elle.

  1. Fiches comptables du sieur Chenalières, contentieux-conseil. Ces papiers furent saisis en 1822 par la police. Mais un fonctionnaire, épris de dossiers secrets, les déroba et nous les conserva ainsi. — Il semble ressortir de ces papiers que M. de Bourmont s’était endetté de fortes sommes, afin de venir en aide aux officiers en demi-solde, dont la détresse était grande.