Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/31

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— Au moins de quelque temps. Vous avez parfaitement saisi ma pensée.

Si le gentilhomme avait pu lire dans la pensée de son compagnon, il eût été épouvanté.

— Quelle honte médite-t-il encore, soupira à part lui Espérat ?

Un instant, il fut prêt de céder au désir de se ruer sur son frère ; ce frère, artisan de tous les deuils accumulés sur le nom de Rochegaule ce frère qui sacrifiait tout, honneur et famille, à sa malsaine ambition.

Mais il se contraignit par un héroïque effort :

— Non, je veux tout savoir, se dit-il.

Et avec une ferveur presque religieuse, il ajouta encore :

— Pour l’Empereur. C’est pour l’Empereur !

Rien de ce combat intérieur n’avait transpiré au dehors, et le comte, inconscient de la présence d’Espérat sous la défroque du rebouteur, poursuivit :

— Quelques mots d’explication sont ici nécessaires.

— Eh bé, j’allais le dire, interrompit le jeune homme qui avait reconquis tout son sang-froid.

— Silence.

— Je me tais, Monsou le comte.

— Ma sœur a eu l’esprit troublé par la grandeur factice de l’ogre de Corse. Elle pactisait avec les ennemis du roi.

Les mains d’Espérat se joignirent malgré lui. Toutefois il répondit d’un accent indigné :

— Quesaco ? Cela est-il possible ?

— Cela est.

— Quoi, la noble demoiselle de Rochegaule ?…

— Oubliait son origine. Elle donna son cœur à un de ces traîneurs de sabre de la suite de l’usurpateur. Elle entraîna la faiblesse sénile de mon père ; elle fit cause commune avec un aventurier, Espérat Milhuitcent.

— Hein ?

— C’est le nom bizarre de ce drôle, expliqua le gentilhomme se méprenant au sens de l’exclamation de son interlocuteur. Bref, je restai seul fidèle au pouvoir légitime. Alors, la malheureuse, que je plains, car elle fut victime d’un plan monstrueux, chercha à me faire mettre au ban de l’opinion. Elle arracha à mon père un reniement en règle, elle me fit refuser par lui la succession au nom de Rochegaule.

Maintenant un sourire se jouait sur les lèvres du faux rebouteur.