Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/326

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Un ricanement grelotta entre les lèvres du maréchal.

— À Châtillon, M. de Metternich était le maître de la situation ; à Namur, je commande seul. Cela fait une différence.

Il se tourna vers Olfuschs qui approuvait du geste :

— Va me chercher Espérat Milhuitcent.

— À l’instant.

S’empressant, le major disparut dans la maison.

— Pour vous, Comte, fit alors le maréchal, vous ne soupçonnez pas le but de la démonstration que tente en ce moment Napoléon ?

Du doigt il indiquait la direction où le grondement du canon continuait à se faire entendre.

D’Artin étendit les bras à droite et à gauche d’un air de doute :

— Ma foi non. À moins qu’il ne veuille se placer entre votre armée et celle de lord Wellington…

— Ce serait insensé… ce serait se mettre entre les mâchoires d’un étau.

De même qu’il avait deviné par l’étude de la carte, le point précis où il devait attaquer, de même l’Empereur avait pressenti que ses adversaires ne comprendraient pas sa manœuvre, qu’il aurait le temps d’écraser les Prussiens, avant de faire face, avec toutes ses forces, aux Anglais.

Une fois encore, la divination du génie se trouvait confirmée par les faits.

Mais Olfuschs reparaissait, tirant après lui Espérat, les mains entravées derrière le dos.

Le jeune garçon était pâle, mais son regard n’avait rien perdu de sa fermeté. Si le brave enfant était désolé de la malechance qui l’avait livré à l’ennemi, malechance que la présence de d’Artin centuplait, du moins, il ne ressentait aucune crainte.

Après tout, au pis aller, il mourrait pour l’Empereur, comme il s’y était engagé par serment.

Qu’importait cela, si la France était victorieuse.

Un instant, il est vrai, le souvenir de Lucile avait amolli son cœur ; mais il l’avait chassé bien vite.

À cette heure décisive, la famille, les affections, tout devait disparaître devant le dévouement à la seule patrie.

Dirigé par le major, il vint, sans forfanterie comme sans faiblesse, se planter à deux pas du feld-maréchal.

Celui-ci le considéra un instant ; puis d’un ton bonhomme :

— Vous êtes celui que l’on appelle Espérat Milhuitcent.