Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/328

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lancée par Milhuitcent l’avait atteint en plein honneur. Mais d’Artin se pencha à son oreille :

— Prenez garde. Il faut qu’il parle. Sinon… avec l’Ogre tout est à craindre ; dans le tumulte d’ailleurs ce drôle vous échappera à un moment donné.

— Il ne m’échappera pas, gronda le Prussien, saisi aux moelles par la crainte de la défaite, habilement sous-entendue par le comte.

Et demeurant d’autant plus menaçant qu’il violentait sa conscience, Blücher poursuivit :

— Espérat, vous savez que Marc Vidal fut sauvé et cela vous donne du courage.

L’adolescent secoua mélancoliquement la tête :

— Vous vous trompez, Monsieur le maréchal.

— Comment, je me trompe ?

— Sans doute. La personne qui pouvait empêcher l’exécution de Vidal avait pour lui une immense affection. Elle sacrifia sa vie, son bonheur, au salut de l’officier.

— Eh bien ?

— Pour moi, il n’en est pas ainsi.

Et ses yeux clairs plantant leur regard dans celui du comte :

— La personne qui s’intéresse à mon sort, acheva le jeune homme, assurera son bonheur, le silence sur ses crimes par ma mort. En entrant ici, je me savais perdu. N’employez donc pas un temps précieux à me proposer une trahison. Envoyez-moi au peloton d’exécution et récompensez ainsi les malheureux qui se sont déshonorés en servant votre cause.

Ce n’était plus un adolescent que Blücher avait en face de lui, c’était un héros.

En offrant sa vie, Espérat semblait avoir grandi.

Tout son être respirait l’énergie, la soif du dévouement ; un rayonnement émanait de sa personne, auréolait son front juvénile. Le feld-maréchal fut impressionné par ce nouvel aspect, et suivant sa coutume, sa gêne se traduisit par une brutalité.

— Il sera fait selon ton désir, mon drôle, on va t’expédier chez Pluton.

Il tutoyait son prisonnier maintenant.

Impassible, celui-ci ricana :

— Tu le peux sans nulle crainte, car mon mépris pour toi n’augmentera pas.

— Ton mépris ?

— Il a atteint le maximum auquel ma nature lui permettait d’arriver.