Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/335

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Enfin on a atteint Ligny.

Christian, excipant des volontés du feld-maréchal, s’est établi au premier étage d’une maison perchée au bord du plateau de Ligny, et d’où l’on découvre toute la plaine. Au-dessous est une grange. C’est au moyen d’une échelle que l’on arrive dans la pièce où le soldat garde son prisonnier. Oh ! les précautions sont bien prises, l’évasion est impossible. Et maintenant, avec un plaisir cruel, Wolf explique à Espérat les avantages de la position occupée par l’armée prussienne.

Abrités dans les villages, les soldats de Blücher pourront fusiller à leur aise les Français obligés de donner l’assaut. Et là-bas, au loin, est la chaussée de Bruxelles, par laquelle les anglo-hanovriens-belges de Wellington, viendront prendre Napoléon à revers.

Il y a plus de finesse qu’on ne le croirait chez l’athlétique soldat. Il sait que son prisonnier est le confident de l’Empereur, que le feld-maréchal aurait intérêt à apprendre par suite de quelles déductions, Napoléon a entrepris la manœuvre, folle à ses yeux, qui le place entre les deux armées ennemies. Et dans la cervelle épaisse du Poméranien, une pensée s’est fait jour.

— Si je parvenais à amener cet avorton à se trahir.

Voilà pourquoi il torture son compagnon de ses explications désolantes.

Mais sa diplomatie n’a pas plus de succès que ses brutalités. Espérat regarde en silence, sans émotion. Il croit à la victoire. Il a foi dans le génie de celui à qui il s’est voué corps et âme.

Soudain, il tressaille. Christian Wolf suit la direction de ses regards. Des masses sombres apparaissent à la lisière de la forêt de Fleurus, se répandent dans la plaine ; des baïonnettes brillent aux premiers rayons du soleil.