Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/359

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flant fortement. À l’approche de l’adolescent, il lança un hennissement grêle. Espérat le flatta de la main. C’était un solide quadrupède, harnaché à l’allemande. Tout près de lui le cadavre d’un houlan noir indiquait à la fois, et le corps dans lequel la bête était enrégimentée et pour quel motif elle se trouvait loin de son escadron.

Milhuitcent ne se fit pas toutes ces réflexions. Il dégagea les courroies prises dans les branches, se hissa péniblement en selle, et lança sa monture dans la direction où tonnait encore le canon.

Le crépuscule touchait à sa fin. Le cavalier comptait avancer avec prudence. Le cheval n’en jugea pas ainsi.

Au premier coup de talon, il partit comme une flèche, le cou tendu, franchissant les clôtures. Stupéfait, Espérat tenta vainement de modérer sa course. L’animal semblait insensible au mors.

Il filait droit devant lui, dépassant les silhouettes sombres des arbres, des maisons.

Trop fatigué pour lutter longtemps, l’adolescent s’abandonna. Le vertige de la vitesse le prit. Chaque pas pouvait amener une chute mortelle, il n’y songeait même pas.

Emporté dans un galop de rêve, dans la nuit épaissie, il eut la vague intuition qu’il passait au milieu de tirailleurs.

Des éclairs strièrent l’ombre, des balles sifflèrent à ses oreilles, et puis de nouveau le silence, la fuite éperdue en sens inverse des objets, chaumières ou taillis, puis une large avenue trouant un bois, une plaine encore, une nouvelle futaie débouchant dans un vallon.

Et là, au fond de la dépression, un hameau avec quelques vitres éclairées, points rouges dans le noir.

— Où suis-je ?

La question ne reçut pas de réponse. Le cheval fit un brusque écart qui désarçonna son cavalier. Un trou béant venait de s’ouvrir devant lui. Il avait voulu l’éviter, mais sa vitesse ne le lui permit pas. Le sol manqua sous ses pieds, et l’animal d’un côté, Espérat de l’autre, roulèrent sur une pente rapide.

Une secousse relativement légère, un instant de désordre dans la pensée et le jeune homme regarda autour de lui.

Il était étendu au bas d’un amoncellement de sable. C’était dans une sablière qu’il avait roulé, heureusement, car il ne s’était fait aucun mal.

Seulement sa course effrénée, le dernier choc avaient définitivement épuisé ses forces. Quand il essaya de se relever, il ne put y parvenir.

À quelques pas, le cheval gisait lamentable. Il avait dû se briser les