Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/360

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jambes, car il essayait vainement de se redresser. À chaque tentative, il retombait sur le flanc avec un hennissement douloureux.

Sans doute, la pauvre bête comprit l’inutilité de ses efforts, car elle demeura couchée, sa tête se balançant au bout de son cou dressé, ses narines laissant échapper un souffle bruyant.

Cette tête, avec son oscillation rythmique de pendule, hypnotisa en quelque sorte l’adolescent. Ses yeux ne s’en pouvaient détacher. Dans la pénombre nocturne, il la voyait toute noire, exécutant sans trêve son mouvement de va et vient, jetant un souffle de plus en plus rauque, jetant en l’âme du spectateur l’impression agaçante et bizarre d’un organe étrange mû par une machine satanique. Tout à coup, le ronflement s’arrêta. Le cou du quadrupède s’abattit sur la terre avec un bruit mat, pour ne plus se relever. Et de nouveau, dans le silence qui suivit, près de ce cheval mort, la panique hanta le cerveau de Milhuitcent, que la faim, l’épuisement, rendaient visionnaire.

Son angoisse fut si forte qu’elle réussit à le galvaniser, qu’elle obtint ce que la volonté avait été impuissante à obtenir.

L’adolescent se mit debout. Les jambes flasques, titubant, il se dirigea vers le hameau. Toutes les lumières, sauf une, s’étaient éteintes.

C’est vers cette dernière que le voyageur allait, la poitrine serrée par la crainte qu’elle aussi disparût, et le laissât seul, perdu dans la nuit, sans point de direction. Un chien à l’attache hurlait lamentablement.

Entre deux haies vives se glissa la sente que suivait l’adolescent. Il n’y prit pas garde, allant comme en songe, les yeux ouverts et l’esprit endormi. Pourtant, en approchant des chaumières, l’instinct de la conservation lui conseilla la prudence.

Il avait galopé longtemps. Bien certainement il avait traversé les lignes françaises, les laissant loin en arrière. Donc, il devait se trouver en pays ennemi. Les hommes qu’il rencontrerait seraient des Prussiens, ou des paysans rendus hostiles par l’angoisse de la ruine, qui étreint les populations parmi lesquelles évoluent les armées.

En un point, la haie lui parut moins fournie, il