Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/394

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la marche des masses humaines qui s’y entrechoquaient depuis le matin, elle reprit :

— Quelle est cette hauteur où nous nous trouvons ?

— Bellevue d’Hal, répliqua cette fois Milhuitcent.

— Et cette rivière coulant au bas de la pente ?

— La Senne, dont le ruisseau traversé tout à l’heure est un affluent.

— La Senne, fit pensivement la jeune fille, Hal, je suis donc en Belgique ?

— Oui, ma sœur.

— Ah !

Un court silence suivit, puis Mlle de Rochegaule, comme si elle comprenait l’inopportunité d’une explication prolongée, reprit son examen du pays.

— Au delà de la Senne, j’aperçois une hauteur environnée de fumée. C’est là que l’on se bat. Sur les pentes s’agitent confusément des masses noires.

— Régiments où l’on meurt, gronda sourdement Vidal, éprouvant une souffrance aiguë de son inaction.

Elle lui sourit.

Ce regret de soldat, elle en avait ressenti toute la noblesse, tout le dévouement, et lui serrant la main :

— Quelle est cette hauteur ?

Marc n’écoutait plus. Toute son âme était là-bas, avec son regard, au milieu de ses compagnons engagés dans la fournaise.

Ce fut Espérat qui parla :

— C’est le Mont-Saint-Jean, occupé par Wellington, avec sur ses flancs, comme sentinelles avancées, les fermes de Hougoumont et de la Haie-Sainte. Au bas, la plaine de Waterloo, au delà, la ferme de la Belle Alliance, quartier général de l’Empereur.

Il prononce tout cela très vite, d’un ton monotone, ton de l’homme dont l’esprit est absent. C’est qu’en effet sa pensée n’est point à ses paroles. Lui aussi est de cœur avec les combattants et une tristesse l’étreint, un pressentiment funeste le glace.

Les Anglais occupent toujours le plateau du Mont-Saint-Jean.

Cette seule constatation lui dit que les efforts surhumains de l’armée française, ces efforts que la furie de la canonnade lui a permis de mesurer, ont été vains.

Il ne sait pas combien sont tombés. Il ignore les charges héroïques de Ney, de Jérôme Bonaparte, de cent autres, l’écrasement de la Jeune Garde