Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/58

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Peut-être avait-il abrité des gentilshommes ; peut-être méritait-il sa sinistre réputation. Ses entrées sur les deux rues qui le bornaient, ses portes bâtardes, dressant leurs rectangles vermoulus sur les terrains vagues avoisinants, auraient, il est vrai, donné de grandes facilités à quiconque eût voulu dérouter les espions ; mais au demeurant, les gens de bon sens, ennemis du merveilleux, eussent été en droit de faire remarquer que tout parc isolé possède plusieurs entrées, et qu’en cela, le Clos Noir ne se distinguait pas de mille autres propriétés dont la curiosité publique ne se préoccupa jamais.

Quoi qu’il en soit, ce soir-là, la malignité du voisinage eût pu se donner carrière.

Vers minuit, des ombres commencèrent à circuler dans les rues désertes. Elles arrivaient une à une, s’approchaient tantôt de l’une des portes, tantôt d’une autre, et heurtaient doucement. Alors, les battants s’ouvraient, quelques mots étaient chuchotés à voix basse, et les promeneurs disparaissaient dans le clos.

Chose singulière, les portes, réputées ne s’ouvrir jamais, tournaient sans bruit, comme si leurs gonds eussent été soigneusement huilés.

Or, l’horloge de l’hôpital Saint-Louis avait sonné les douze coups de minuit depuis quelques minutes à peine, lorsque deux ombres s’engagèrent dans la rue des Récollets, chacune par une extrémité différente.

Aucun quinquet n’existait dans les nouvelles voies projetées ; mais le ciel étant clair, une légère clarté tombait des étoiles.

Les nocturnes péripatéticiens s’aperçurent. Une rencontre, à pareille heure, dans ce quartier désert, aurait inquiété le bourgeois égaré en ce lieu ; les personnages inconnus ne manifestèrent aucune émotion et continuèrent à s’avancer l’un vers l’autre.

La lune, masquée jusque-là par les constructions en bordure du faubourg Saint-Martin, s’éleva à ce moment au-dessus des toits ; sa lumière argentée tomba sur les inconnus.

C’étaient un ouvrier maçon et un mendiant, du moins à en juger par le costume.

Le premier de taille moyenne, blond, le nez retroussé, une moustache dorée ombrageant les lèvres, le visage gai, le regard ironique, avait cette démarche particulière aux gens prédisposés à tourner toutes choses au comique.

Le mendiant, lui, joli garçon d’une quinzaine d’années, le front couvert de cheveux dorés, les yeux bleus courageux et hardis, l’allure fière, avait un physique qui contrastait tellement avec son piètre accoutrement,