Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/7

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peine, et quiconque quittait les routes tracées à travers bois se trouvait aux prises avec une végétation touffue, se développant sans entraves.

Cependant cavalier et cheval avançaient comme en se jouant. Évidemment le premier était un écuyer consommé, car il guidait sa monture avec une dextérité remarquable.

Âgé de quarante-cinq ans environ, la tournure élégante agrémentée d’un je ne sais quoi de militaire, le personnage monologuait, tout en forçant son cheval à contourner les arbres, à franchir les souches ou les buissons :

— Quels peuvent être ceux qui m’écrivent ? Ma femme avait raison, il faut être fou pour accepter un rendez-vous semblable émanant d’inconnus. Ce sous-bois est un véritable coupe-gorge.

Sa main libre se porta vers les fontes et caressa la crosse de deux pistolets.

— Il est vrai, ajouta-t-il, que j’ai de quoi répondre à toute question. Et puis un ancien volontaire de l’armée des Alpes, ancien aide de camp de Napoléon, ne saurait s’arrêtera des craintes vulgaires. On a beau être devenu Conseiller d’État et comte de l’Empire, on a toujours dans les veines du sang de soldat.

Soudain il se tut, retint son cheval et sonda d’un regard perçant les jeunes feuillages autour de lui.

Un sifflement léger venait de retentir à quelque distance.

— Ouais, murmura encore le cavalier, voudrait-on me jouer quelque mauvaise plaisanterie ?

En un tour de main, il eut tiré les pistolets des fontes et attendit :

Un éclat de rire résonna à sa droite ; une voix railleuse jeta cette phrase :

— Monsieur de La Valette a la main prompte. Avant de se mettre à sa portée, il est prudent d’inspirer confiance à son oreille.

— La Valette ! Vous me connaissez, répliqua le cavalier, cherchant vainement à apercevoir son invisible interlocuteur ?

— Jugez-en, reprit l’organe railleur. Je salue en vous Antoine-Marie Chamans, comte de La Valette, né en 1769, à Paris, d’une famille de commerçants, aujourd’hui époux d’une ex-demoiselle Beauharnais, nièce de S. M. l’Impératrice Joséphine, une épouse dévouée qui s’opposait à ce que son mari vînt, en pleine forêt de Fontainebleau, à un rendez-vous qu’elle jugeait dangereux.

Et comme le comte demeurait muet, stupéfait de ces dernières paroles, qui semblaient répondre à sa pensée de tout à l’heure, le causeur invisible ajouta :