Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/72

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— J’ai composé un chant, je l’ai appris aujourd’hui à cinquante chanteurs ambulants. Demain tous les échos de Paris le répéteront.

Les chefs approuvèrent du geste.

— Pour vous en donner une idée, et pour convaincre le brave Capeluche de la vérité de ce que j’affirmais à l’instant, je souhaite vous faire entendre un couplet.

— Oui, oui, clamèrent cent voix, le couplet du citoyen Paunier.

— Nous écoutons, appuya La Valette.

Alors le poète passa dans ses cheveux une main osseuse garnie de bagues, toussa légèrement et commença :

— Chanson Nationale, se chante sur l’air connu : Ça n’ se peut pas. Il y a sept couplets dont voici le premier.

Pourra-t-il régner sur la France,
Ce roi, qui, parmi les Français,
Ose dire avec assurance :
Je dois ma couronne aux Anglais.
Dès ce moment, la France entière
Dit, brisant son sceptre en éclats !
Si tu le tiens de l’Angleterre,
Ça n’ tiendra pas. (bis)

Le rugissement d’un cyclone seul peut donner une idée de celui qui sortit de la poitrine des conspirateurs. Le poète fut entouré. On se disputait à qui lui presserait les mains. Pour un peu, on l’eût porté en triomphe.

Mais d’une part, les assistants étaient trop serrés, d’autre part, la voûte du caveau n’était pas assez élevée. Il fallut renoncer à cette ovation ; mais les cris, les félicitations, la remplacèrent avantageusement.

Tandis que l’attention de tous était accaparée par le citoyen Paunier, la porte du souterrain s’ouvrit doucement et Espérat Milhuitcent parut sur le seuil. Le jeune homme venait de fournir une longue course, sa respiration haletante, le désordre de ses vêtements, l’indiquaient ; néanmoins sa figure était pâle et dans ses yeux brillait une lueur de fièvre.

Se glissant le long du mur, Espérat atteignit la table, échangea des étreintes rapides avec ceux qui l’entouraient, puis se plaçant auprès de M. de la Valette, il lui parla à voix basse.

Cependant l’apparition du jeune homme avait été remarquée.

Le silence se rétablissait peu à peu. Les yeux des assistants se fixaient sur le nouveau venu. Apportait-il lui aussi une nouvelle ?

M. de La Valette réclama le silence.

— Frères, dit-il, continuez ce que vous avez si vaillamment commencé.