Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/74

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Un frisson secoua l’assistance ; l’officier se dressa sur ses pieds, les mains tendues vers Milhuitcent :

— Par elle ?

— Oui, dans sa folie commençante, la fille de Rochegaule est restée fidèle à son unique tendresse.

Arrêtant de nouvelles interrogations sur les lèvres de l’ancien aide de camp de l’Empereur.

— Vous savez le principal. Laissez-moi maintenant être tout à notre cause. M. de La Valette, interrogez.

— Volontiers, acquiesça le Président. Quel était le mobile qui conduisait d’Artin aux Tuileries ?

— Un ordre de M. de Talleyrand.

— Du diable boiteux ?

— Oui. Cet homme néfaste veut que Louis XVIII prenne l’initiative de proposer aux puissances européennes le transfert de l’Empereur aux îles Açores, ou mieux encore à l’îlot de Sainte-Hélène.

— À Sainte-Hélène, répétèrent sourdement les assistants !

— À Sainte-Hélène, gronda M. de La Valette, sur cet îlot torréfié par le soleil, perdu au milieu des flots de l’Atlantique ?

Espérat inclina la tête :

— Ils n’oseront pas, s’écria Marc Vidal. La France entière se soulèverait.

— Et puis, reprit lentement le président, Louis XVIII n’est point cruel ; il faut bien reconnaître les vertus de ses adversaires.

Milhuitcent l’interrompit impétueusement :

— Aussi a-t-on trouvé le moyen de forcer sa volonté.

— Comment ?

— En lui présentant comme messager…

Le jeune homme poussa un profond soupir, mais il continua avec résolution :

— Le comte de Rochegaule d’Artin, qui a fait litière de l’honneur des siens, pour assurer le retour du roi.

— Oh ! l’infernal Talleyrand. Voilà bien de ses idées.

— En lui adjoignant une folle, Lucile, dont la raison a succombé dans l’horreur du sacrifice exigé d’elle.

Un sanglot étouffé ponctua la phrase. Les poings sur les yeux, le capitaine Vidal pleurait. Plus qu’un autre, il comprenait l’émotion d’Espérat devant accuser son frère, devant dire l’inconsciente complicité de sa sœur. N’était-il pas le fiancé naguère choisi par la jeune fille ; n’était-il