Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/81

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La chance voulut que le rectangle de papier tombât justement dans la zone que le regard du prisonnier pouvait explorer.

Un pâle soleil d’hiver éclairait la poussière grise de la route. Il faisait froid ; le vieillard se sentit grelotter. Il vint reprendre son manteau, emmitoufla ; après quoi, il retourna à son poste d’observation.

Combien de temps y demeura-t-il ? Il n’aurait pu le préciser. De temps à autre, une voiture, un cavalier, un piéton, passaient.

Chaque-fois, le prisonnier était sur le point d’appeler, mais il arrêtait le cri prêt à jaillir de ses lèvres. Les oreilles de son geôlier devaient être attentives et le bruit eût éveillé leur défiance.

Rageur, Denis laissait s’éloigner les voyageurs préoccupés, qui n’apercevaient même pas le parallélogramme blanc de l’enveloppe.

Une fois encore, un pas pesant sonna sur la terre.

Un jeune paysan parut. Celui-là vit la missive. Il se baissa, la ramassa.

— Tiens, fit-il, ça doit être une lettre. Il y a quelque chose d’inscrit dessus.

Le cœur de maître Denis battait à se rompre. Le passant retournait le papier dans ses doigts.

— Qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire, ce gribouillage, reprit-il curieusement ? Si je savais lire, parguenne, ça irait tout seul ; seulement j’sais pas.

Au risque de se trahir, le rebouteur allait pousser un cri, quand le paysan haussa les épaules :

— Je demanderai cela au père Pontois, l’aubergiste. On boira un verre en causant. Voilà ! En tout cas je ne me serai pas baissé pour rien.

Il s’éloigna sur ces mots, et le Provençal, transi mais radieux, referma sa fenêtre pour venir se blottir frileusement devant la cheminée.

Le soir même, en rentrant chez lui, après avoir présenté ses adieux au comte Walewski, lequel quittait Paris avec la conviction que le favori du roi appuierait la combinaison que lui-