Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/98

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une fenêtre de la rue Saint-Honoré, derrière laquelle, un homme, le front appuyé à la vitre, regardait ce qui se passait.

Tercelin lui adressa un signe de la main. L’autre riposta par un geste affable.

— M. de La Valette nous invite à agir, expliqua alors le magister.

— Agissons donc.

Le groupe se disloqua comme par enchantement. Chacun de ceux qui le composaient, s’engouffra dans la foule. On entendit des murmures, des chuchotements.

— Raucourt n’aura pas de messe.

— La tyrannie religieuse d’autrefois, alors.

— Oui, on accepte les aumônes d’une comédienne.

— Mais on lui refuse l’église.

Puis un grand silence se fit, au milieu duquel on entendit une voix nasillarde clamer :

— Qui n’a bas son métaille ?… Foyez, achetez le métaille, soufenir des obsèques de Matemoiselle Raucourt.

C’était le brocanteur Abraham Gœterlingue qui, tout en conspirant, trouvait le moyen de gagner de l’argent.

Décidément toute l’assemblée du Clos Noir était là. Il n’en manquait pas un.

Cependant les conversations avaient repris.

On se montait peu à peu contre le clergé de Saint-Roch, qui prétendait refuser ses prières à la bonne, la charitable Raucourt.

De sourdes menaces grondaient, répétées, amplifiées :

— On verra bien qui aura le dernier mot.

— Entre les morts, il n’y a pas à choisir.

— Il n’y a qu’un Dieu pour tout le monde, alors pourquoi veut-on fermer sa maison à une catégorie de citoyens ?

— Pauvre Raucourt ! On la trouvait bonne chrétienne pour les aumônes, mais mauvaise pour les principes.

— Si le peuple supporte cela, il est mûr pour toutes les servitudes.

— Il ne le supportera pas.

Soudain un bruit passa sur la foule. Le cortège était signalé.

Tout se tut.

Lentement le char mortuaire avançait. La cohue compacte grouillait sur les trottoirs, débordait dans les rues de la Sourdière, des Moineaux, qu’elle barrait complètement.