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Page:Ivoi - Les Semeurs de glace.djvu/100

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L’audacieuse allégation du Marseillais souleva un ouragan de rires.

Il s’inclina modestement, attendit que le silence fût rétabli et continua d’un ton pénétré :

-« Vous juges de mon désespoir. Sans la crainte de faire déborder le bassin de la Joliette, j’aurais pleuré un fleuve ; mais à ma torture matrimoniale, je ne voulus pas joindre les horreurs de l’inondation. Rascasse, on est philanthrope ou on ne l’est pas. Je résolus de mettre fin a mes jours, empoisonnés par la clôture hermétique de l’huis de Zénaïde.

« À mes amis, j’annonçai mon départ pour un long voyage. En règle ainsi avec mes devoirs sociaux, je m’enfermai dans ma chambre.

« Résolu à me laisser périr de faim, je fermai les volets, je verrouillai la porte, et je m’étendis sur mon lit, afin de rendre le dernier soupir commodément.

« Fut-ce le silence, l’obscurité, la station horizontale, ou bien autre chose, mille diables, je vous le dirai pas, car je l’ignore moi-même ; toujours est-il que je m’endormis aussi profondément qu’une marmotte après l’automne ou un boa après dîner.

« Or, la Sagesse des nations, les Proverbes, qui nous arrivent raide comme balle du grand roi Solomon en passant par l’écuyer Sancho Pança, disent ceci :

« — Qui dort dîne.

« Eh bien, mes agnelets, vous me croirez si vous voulez, le proverbe, il est vrai comme le Verbe. Pas un tiraillement d’estomac, pas une fringale ne troublèrent mon somme, et pourtant il fut d’une taille, ce somme, d’une taille qui aurait paru extraordinaire autre part qu’à Marseille. J’avais fermé les yeux le 27 mars 1899, et je les rouvris le 27 mars 1901.

Le médecin leva les bras au plafond :

— Deux ans, et vous viviez encore.

— Pécaïre, docteur, si vous parlez toujours, je finirai jamais.