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Page:Ivoi - Les Semeurs de glace.djvu/108

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ves. Le jaguar lui-même fuit devant ces redoutables adversaires, et bien que supérieurement armé par la nature, il n’engage le combat qu’après avoir reconnu l’impossibilité de l’éviter.

Nieto possédait des talents variés.

Il fumait, prenait son café avec la gravité d’un gourmet, attrapait au vol des morceaux de sucre qui lui étaient lancés à distance.

L’exercice n’avait point de secrets pour lui ; il marchait au pas au son du tambour.

La navigation même l’intéressait. Plus d’une fois, on l’avait surpris, les pattes appuyées sur la roue du gouvernail, dans la position du parfait barreur.

Mais surtout, ce chien rare savait la politique.

Il sautait à quatre pieds de haut pour les divers Présidents des nombreuses républiques sud-américaines. Par contre, il s’asseyait rageusement, montrant les dents si on l’invitait à exécuter cet exercice en faveur des chefs de gouvernements des États du Nord.

À peine Nieto eut-il fait trois pas sur le pont qu’on l’appela de tous côtés.

Les uns lui montraient du sucre, d’autres des gâteaux secs, dont les passagers avaient fait provision à son intention.

Lui, hésitant, se trouvant sans en avoir conscience, du moins, nous l’espérons, dans la situation de l’âne de Buridan, regardait à tour de rôle tous ces gens si bien disposés pour lui, les remerciait en remuant poliment la queue, en toutou de bonne compagnie, mais semblait avoir peine à choisir entre le sucre et les palmers.

Moins naïf, le brave yucatano eût songé que le tout lui étant destiné, il importait assez peu de croquer d’abord ceux-ci ou celui-là, seulement les chiens n’ont point encore atteint le degré de roublardise de l’homme. En dépit de cette mauvaise fréquentation, ils sont demeurés simples, candides et sincères.