entretenir. Bien que l’on ne fût qu’à faible distance de la côte, déjà la sauvage grandeur de l’intérieur brésilien se faisait sentir. Plus d’une fois, le rauquement du jaguar en chasse, la clameur gémissante des alligators troublèrent le sommeil des voyageurs.
Les voix des solitudes sud-américaines résonnaient pour la première fois à leurs oreilles, et une terreur presque religieuse, à laquelle nul ne peut se soustraire, les envahissait.
Cependant l’aube vint sans qu’il se fût produit le moindre incident fâcheux.
Durant un mois, la montée du fleuve continua. Tantôt on passait la nuit en pleine forêt, sous des arbres géants à la chevelure de lianes, tantôt sur les rives de l’Amazone.
Montalègre, Santarem, Obidas, Serpa défilèrent ainsi sous les yeux des voyageurs.
D’innombrables affluents : Yarez, Para, Gurupatuba, Surabïu, Trombedas, Yamunda, Vatuma, Uruba, sur la rive gauche ; Xingu, Maz, Derry, Tapajoz, Curanhari, Abaçaxis, Mirim de Caname, Madeira, Autaz, sur la rive droite, avaient été notés au passage.
Mais les eaux enflaient. Le courant devenait chaque jour plus rapide, plus difficile à vaincre.
Et les Bonis, cambrant leurs torses noirs, tendant leurs bras musculeux sur les longs avirons, disaient avec de larges rires, qui découvraient leurs dents blanches :
— Nègre si reposer bientou. Quei jours aco et plous di rames ; li Gapo défend.
En traduction française :
— Les nègres se reposeront bientôt. Quelques jours encore et plus de rames. Le Gapo le défendra.
Le Gapo, ou inondation annuelle de l’Amazone, amène en effet un arrêt complet de la navigation sur le grand fleuve.
Les bateaux s’amarrent le long des quais de bois des villes riveraines ; les bateliers dorment, jouent