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LES SEMEURS DE GLACE

— Oh ! senoraële (Mademoiselle), veder mauvais tigs rôder (voir mauvais jaguar rôder).

— Un jaguar, expliqua la prêtresse, plus au courant que sa compagne des façons de dire des Bonis.

— Eo (oui)

— Bon, le feu le tiendra à distance.

Le noir branla la tête d’un air soucieux :

— Ça pas sûr, senoraële.

— Comment ? Prétendriez-vous dire que l’animal osera franchir nos foyers ?

— Bon nég’ pas dire ça, mais penser dans sa tête à li qué tig’ pouvoi bien faire.

Stella tenait la main de Dolorès ; elle la sentit frissonner dans la sienne, tandis que la prêtresse murmurait :

— Un mangeur de feu alors ?

Ces mots, dont le sens précis échappa à Mlle Roland, a pour les habitants de la contrée une terrible signification.

Il arrive parfois que le jaguar, poussé par la faim, attaque l’homme. La couardise innée des félins rend cette aventure assez rare, mais enfin elle se produit.  Si le fauve triomphe et qu’il dévore son adversaire, un terrible danger sévit sur toute la région et dure, jusqu’au moment où la population terrifiée organise une immense battue, au cours de laquelle le jaguar trouve la mort, après avoir, hélas ! fait la plupart du temps quelques victimes.

Le fauve est un mangeur de feu.

Cela signifie qu’ayant mangé de l’homme, il a délaissé toute autre nourriture. Conduit par une préférence gastronomique, flatteuse sans doute mais pénible à satisfaire, il prend gîte aux abords des haciendas, des villages, des carbets ; il guette les femmes allant chercher de l’eau, les enfants qui s’écartent des bâtiments, les hommes isolés.

Un bond, un fracassement d’os broyés. La bête féroce a fait une victime de plus. C’est une formidable