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Page:Ivoi - Les Semeurs de glace.djvu/196

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tenaient, attentifs et silencieux, Jean souriant, Francis mélancolique ; en dehors de Marius, de Pierre et des nègres Bonis, groupés en un autre coin de la salle, de nombreux cavaliers étaient assis en compagnie des dames les plus élégantes de la ville.

Il y avait là des visages donnant toute la gamme intermédiaire du blanc au noir. Mais tous exprimaient la satisfaction.

Négligemment adossé à une table, Scipion Massiliague causait d’un air détaché avec les personnes les plus rapprochées de lui, lesquelles ne semblaient pas médiocrement fières de cette faveur.

Soudain, un assistant, agacé sans doute par cette conversation à mi-voix, cria :

— Señor Massiliague.

Tout bruit s’éteignit comme par enchantement.

L’interpellé leva la tête et courtoisement :

— Qui m’appelle, vé ?

— C’est moi, señor.

— Ah ! Hé bé ! Qué tu veux, mon fils ?

La vogue n’avait rien fait perdre au Provençal de ses allures bon enfant, de son ton d’amicale familiarité.

Le caballero, lui, répliqua, avec la politesse affectée des descendants des immigrants en provenance de la péninsule ibérique :

— D’abord, señor, je veux avoir le plaisir de vous baiser les mains.

— Te gêne pas, ma caille, et après ?

— Et après, de vous adresser une prière.

— Une prière, bagasse, ça ne se refuse pas, pourvu qu’elle soit pas trop longue, car j’ai envie de me coucher à bonne heure, ce soir.

Un concert de lamentations s’éleva aussitôt.

Le Marseillais se cambra avantageusement, cligna de l’œil, et narquois :

— Quésaco ? mais, rascasse, on jurerait que vous avez résolu de me condamner à l’insomnie.