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Page:Ivoi - Les Semeurs de glace.djvu/199

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LES SEMEURS DE GLACE

yeux fixés sur l’orateur, prêtassent la moindre attention à ce mouvement.

Massiliague seul, peut-être, remarqua la sortie des jeunes filles, mais il n’en laissa rien paraître et il poursuivit :

— L’amour de la vérité est inné, dans notre famille, comme dans toutes les familles marseillaises, fanfarou, à preuve que, chez nous, il est un usage que l’on n’oserait essayer d’acclimater dans une autre ville. Quand, à Marseille, un citoyen, il en reçoit d’autres à dîner, il les exhorte ainsi : « Mes cailles dodues, la vérité est le plus bel assaisonnement des mots. Si donc ma bouche s’en écarte, ne vous gênez pas, levez-vous de table, et laissez-moi seul en face du mensonge. » J’agirai de même à votre endroit. Eh bien, bravounettos, depuis que cette coutume elle existe, et elle existe depuis… la nuit des temps, jamais, vous entendez, jamais un Marseillais il s’est levé de table. Oui, mes colombes, la vérité a élu domicile à Marseille ; et, en cela, elle a prouvé qu’elle est femme et qu’elle a du goût, car, si elle n’avait pas choisi Marseille comme résidence, je vous demande un peu voir où serait allée la pauvre fille.

Un jeune garçon, égaré parmi l’auditoire, prononça assez haut pour être entendu :

— Mais le chou qui prend le fort, où est-il ?

Scipion fronça le sourcil ; toutefois, après avoir reconnu le jeune âge de l’interrupteur, il s’humanisa :

— La vérité sort des lèvres de l’innocence, déclamat-il. L’innocence réclame le chou, nous allons lui servir ce légume, hé donc, mon bon, avec la prestesse d’un cuisinier troussant une bouillabaisse.

« Donc, Saint-Charles n’était pas encore dans Marseille. C’était une bourgade, une commune libre, comme on disait alors, libre et légèrement fortifiée pour repousser les attaques des malandrins. Légèrement té, un simple mur percé de quatre portes de bois, sans fossé, ni tours, ni tourettes, ni tourasses.