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Page:Ivoi - Les Semeurs de glace.djvu/305

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Américains sont exubérants, bavards, diserts ; mais ils sont loin de posséder la verve intarissable de la Provence, ce pays où poussent sans effort l’olive, les roses, les oranges, et… l’éloquence abondante.

Scipion ne se méprit pas sur le sens de ce coup d’œil ; mais il entrait dans son plan d’y voir un sentiment d’admiration. Aussi, y répondit-il par un salut aimable, et continua avec une volubilité croissante :

— Malgré toutes ses qualités, mon bon, Caïus Boudiliasse était triste comme une larme, assombri comme un soir de tempête.

— Bon dieou, gémissait-il, je suis ruiné ; le monde va me tourner le dos, car les ruines, sauf les romaines, n’intéressent plus personne.

Ah ! le pauvre, il plaignait sa ruine. Son aventure était simple.

En vue d’une espéculation, le pauvre drolle, il avait acheté vingt mille moutons ; vingt mille, tu entends, pitchoun cher, en prévision d’une hausse sur la gent ovine, et il avait pensé gagner deux cents pour cent, en revendant très cher, ce qu’il avait acquis à bon marché. Il avait fait un petit trust à lui tout seul, qué !

Seulemain, il y a un seulemain, rascasse. L’homme, il est pas parfait, quand il est pas un Marseillais pur.

Or, Caïus Boudiliasse, né à Marseille, d’un père Marseillais, avait eu, pour son malheur, une maman native de Carcassonne. De là, ma Caille, des lacunes dont il souffrait parfois, le povre, et cette fois plusse que les autres. Avait-il pas eu la bêtise d’acheter ses moutons… dans le Nord !!!

Dans le Nord, mon bon, dans ce pays où le soleil est avare de ses rayons comme Harpagon de ses écus, fanfaru !… Est-ce qu’un vrai Marseillais de Marseille ferait jamais semblable bévue. Je sais bienne, vous me direz :

— Qué ça fait le Nord pour le mouton ?

Ce que ça fait ? Eh ! parbleu, tout et encore davantage.

Bous le ciel gris, dans ses pâturages, la pauvre