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Page:Ivoi - Les Semeurs de glace.djvu/96

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digieusement agacé. Certainement une bonne digestion permet de se nourrir de presque rien, mais, pécaïre, une digestion parfaite conduit à se substanter de tout à fait rien, hé donc.

Un rire joyeux s’éleva autour de la table.

Chacun respirait plus à l’aise, sentant que l’intervention du Marseillais allait mettre fin au fastidieux bavardage du médecin. Celui-ci donna tête baissée dans le piège.

— Tout à fait rien, vous exagérez, señor.

Scipion haussa dignement les épaules :

— Je n’ésagère jamais, docteur.

Les rires redoublèrent. Le ton, l’expression de la physionomie du Provençal étaient en effet impayables.

— Je vous vois venir, reprit le médecin. Vous avez en vue l’expérience de Succi, qui demeura quarante jours sans manger.

— Celui-là et d’autres.

— Mais, señor, ils buvaient. Ils absorbaient de l’eau en quantité, et l’eau, si pure soit-elle, contient toujours en suspension des corpuscules nutritifs. C’est la diète aqueuse ; la quantité de nourriture est presque nulle, mais elle n’est pas nulle.

— Té, qui vous parle de cela, mon bon ; moi, je me suis soumis à la diète, absolue… sans eau.

— Ah ! ah ! s’écria le docteur, voilà un cas intéressant, et serai-je indiscret de vous demander ?…

— Il n’y a aucune indiscrétion, farfandieou.

— À vous demander combien de temps vous avez résisté à ce régime ?

Massiliague promena autour de lui un regard pétillant de malice, puis avec le plus imperturbable sang-froid ?

— J’ai résisté deux ans, ma caille ; deux années, dont une bissextile, je crois.

Un murmure hilare s’éleva dans la salle. Vraiment