Page:Ivoi - Massiliague de Marseille.djvu/126

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— Bien, pensa-t-il, la gracieuse Allane n’a pas failli à son origine irlandaise. Elle est fenian.

— C’est là, continuait doctoralement Coldjam, une secte riche, puissante et dangereuse pour l’avenir de l’Angleterre. Sous prétexte de Celtisme, les Fenians entraînent l’Écosse et le pays de Galles dans leur mouvement séparatiste. C’est ce qui fait croire à tous les bons esprits que l’Angleterre disparaîtra comme grande puissance avant longtemps, et que les États-Unis sont appelés à lui succéder à la tête du monde civilisé.

Il leva dévotieusement son verre :

— À la réalisation de cette évolution désirable ! psalmodia-t-il d’un ton ému.

Tous les gobelets de cristal se choquèrent. Scipion trinqua comme les autres, mais à part lui, il murmura :

— Il faut retrouver Dolorès Pacheco ; car voir les États-Unis succéder à l’Angleterre, ce serait pour l’Europe, et surtout pour les Celto-Latins, tomber de Charybde en Scylla.

On apportait au même instant un roastbeef, non pas de viande fraîche, on n’en consomme pour ainsi dire pas dans la région, mais de viande de conserve préparée au Stock-Yard de Chicago, par l’une des importantes maisons Armour, Swifle, Libby and Libby, et Hammond ; conserves que, dans leur puffisme national, les citoyens de l’Union déclarent supérieures aux meilleures viandes de boucherie.

La conversation, habilement menée par Scipion, dévia aussitôt. Un concert enthousiaste célébra les vertus des industriels du Stock-Yard, ce qui permit à Massiliague de lancer cette phrase :

— Est-ce vraiment si curieux, ces établissements ?

— Si cela est curieux… Mais, cher monsieur, cela est unique au monde.

Et, parlant tous à la fois, le major, ses sœurs se répandirent en éloges hyperboliques dans le brouhaha desquels sonnaient, tels des coups de clairon, les noms des fabricants. En Amérique, on est plus fier de l’homme qui dirige « la plus grande fabrique de n’importe quoi » que d’un savant, d’un grand général, d’un poète. Edison a dû en grande partie sa réputation à ce qu’il a monté sa science par actions, à ce qu’il a créé une sorte d’immense laboratoire, où des savants appointés cherchaient la solution de problè-