Page:Ivoi - Massiliague de Marseille.djvu/148

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compagnons de voyage ne songent point à nous. Fussent-ils éveillés du reste, qu’avec le vacarme que produit le roulement du wagon, ils ne sauraient distinguer le sens de notre discours.

— C’est vrai… Je regrette seulement que le maquignon d’Oklahoma connaisse mon nom.

— Qui veut la fin veut les moyens, répliqua philosophiquement le domestique.

— Je ne le nie point.

— J’aurais pu déguiser votre personnalité, mais alors nous aurions risqué de n’avoir point de montures à notre arrivée, et si notre Massiliague prenait sans retard le chemin du désert, il nous échapperait, et ne nous guiderait pas, comme il va le faire, vers la cachette de la Mestiza Dolorès Pacheco.

— Que la foudre écrase ! gronda Joë avec l’accent de la haine. Tu as sagement agi, digne Bell. Ce qu’il faut, c’est que cette coquine, cette sang mêlé, disparaisse ainsi que les diables qui l’escortent.

— Nous y arriverons, gentleman.

Un silence suivit.

Pâles, la poitrine soulevée par leur respiration précipitée, Scipion et Marius demeuraient pétrifiés.

Le plan sanguinaire de Joë les avait abasourdis.

— C’est égal, reprit soudain ce dernier, si le ridicule Marseillais…

— Ridicule, grommela Massiliague en serrant les poings.

Marius le contint du geste. Sullivan poursuivait :

— Si le ridicule Marseillais ne nous avait pas sauvé la vie sur la colline de la Cigale ; si Francis Gairon et Pierre, mus par un stupide point d’honneur, n’avaient pas refusé ensuite d’attenter à ses jours… deux coups de fusils de ces fins tireurs eussent couché le champion et la Dolorès sur le sol. Nous ne serions pas obligés à une expédition hasardeuse.

Un frisson secoua le corps de Scipion.

Quoi, les Canadiens Francis et Pierre étaient à la solde de Joë ! Ces hommes dont il avait préservé l’existence menaçaient la sienne !

La sienne, bah ! le danger l’amusait ; mais ils menaçaient la Mestiza, la noble enfant qui, insoucieuse de sa beauté, des sourires, des joies de la jeunesse, s’était vouée à l’émancipation d’une race ! Ils étaient auprès d’elle lorsqu’elle s’était engagée dans le Llano Estacado.