Page:Ivoi - Massiliague de Marseille.djvu/161

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Massiliague haussa dédaigneusement les épaules.

— Monsieur est très brave, reprit le Texien, mais il aurait tort de mépriser ceux dont je parle. Il n’y a point de courage qui puisse parer une balle tirée par derrière ; pas de valeur qui ne succombe dans un guet-apens.

— Allons, tu veux m’effrayer.

— Que Monsieur ne le pense pas. Je désire seulement démontrer à Monsieur la nécessité de la prudence. Dans le désert, il faut se défier de tout : des herbes qui cachent aisément un ennemi, du rocher derrière lequel une carabine vous vise peut-être ; de l’arbre dont le feuillage est capable de receler un Indien, de la source où le pirate s’embusque pour attendre le cavalier altéré. Le voyageur doit voir à droite, à gauche, en avant, en arrière, et quand il a pris toutes les précautions possibles, il est encore sage à lui d’agir comme s’il ne les avait pas prises.

À présent Scipion paraissait intéressé :

— Tu es sûr de ne pas forcer le tableau ? fit-il enfin.

— Monsieur aura la bonté de reconnaître bientôt que je suis resté au-dessous de la vérité.

— Eh bien, mon fils, tes paroles m’enchantent.

— Monsieur dit ?

— Que je me persuade de plus en plus qu’au désert nous n’aurons pas le temps de nous ennuyer.

Puis sans prendre garde à l’expression de surprise épandue sur la physionomie de son interlocuteur, Scipion s’étendit voluptueusement sur le sol :

— Nous ne partirons pas avant quatre heures du soir, brave Marius ?

— Monsieur a bien voulu…

— Comprendre que la chaleur du milieu de la journée épuiserait nos chevaux… Oui, oui. En ce cas je vais dormir… Il fait suffocant comme dans un four, pécaïre… je tâcherai de rêver de l’Océan Glacial pour me rafraîchir.

Là-dessus, le Marseillais ferma les yeux. Bientôt sa respiration régulière apprit à son compagnon qu’il avait perdu la conscience des choses.

Marius, lui, alla s’asseoir un peu plus loin, le dos appuyé au tronc d’un gommier, et il demeura immobile, ses yeux seuls inspectant à tour de rôle les diverses parties de l’horizon.

Longtemps il resta ainsi, n’apercevant que le ciel