Page:Ivoi - Massiliague de Marseille.djvu/225

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plaine de leurs corps, pourras-tu défendre ton village ?

Le Vautour Rouge esquissa un sourire :

— Tu dis des choses inutiles. Un chasseur ne devrait pas perdre son temps en discours futiles. Laisse cela aux squaws (femmes). Retourne vers les tiens. Rapporte-leur ce que tu as entendu.

— Et que la Mestiza se livre à votre discrétion, s’exclama impétueusement le Canadien. Cela, elle ne le fera pas. Tous nous préférons mourir.

— Vous mourrez donc.

— Oui, mais après nous être vengés.

Le Peau-Rouge secoua négativement la tête.

— Un chef sait être ménager de la vie de ceux qui lui obéissent. Votre position est imprenable de vive force. Nous ne l’attaquerons pas.

— Vous ne l’attaquerez pas ?

— Non, mais nous la bloquerons étroitement.

Gairon fit entendre un éclat de rire strident :

— Vous comptez sur la faim pour nous réduire ?

— Oui.

— Alors, préparez-vous à une longue station ici. Nous avons des vivres, des bêtes de charge… ; des semaines, des mois s’écouleront…

— Le Grand Esprit a donné la patience à l’Indien. Qu’importe d’attendre la défaite d’un ennemi, si l’on est assuré que la faim le visitera, appauvrira son sang, le privera de sa vigueur et le mettra enfin dans l’impossibilité de se servir de ses armes, devenues trop faibles pour ses mains, débiles.

— Oh ! rugit le Canadien hors de lui… Avant cela, nous descendrons vers vous, et la plaine se désaltérera de votre sang…

Il se tut soudain. L’ironie qui brillait dans les yeux des assistants lui montrait combien vaine était sa bravade.

En effet, comment quinze combattants pourraient-ils engager en rase campagne la bataille contre les centaines d’adversaires qui grouillaient autour de l’éminence. Il courba le front, puis lentement :

— Chefs, dit-il, il y a parmi vous des vieillards. Ceux-là parleront aux autres du Renard Sanglant.

Un petit frémissement parcourut les auditeurs. Sans doute déjà, le souvenir du vieux chasseur, mort en ce lieu naguère, avait été rappelé ; dans la Prairie, on conserve la mémoire des vaillants.