Page:Ivoi - Massiliague de Marseille.djvu/268

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Et le chasseur se disait son agent !

Comme clouée au sol, Vera Rosales restait à la même place, les yeux rivés sur cet homme qui se lamentait même dans le sommeil.

La trahison est ce qui stupéfie le plus la jeunesse, sincère parce qu’elle est la jeunesse, parce que tous ses sentiments sont simples et forts.

Vera se demandait si elle ne rêvait pas.

Il lui semblait impossible que le chasseur canadien, en qui la Mestiza avait mis sa confiance, eût trahi, eût commis le crime le plus lâche, l’assassinat le plus odieux.

Une horreur invincible la secouait. Et dans son rêve vengeur, le Canadien continuait à s’accuser.

Mais bientôt une idée se fit jour dans l’esprit de Vera. Elle ne songea pas à confier sa découverte à son père, à un des compagnons de la Mestiza. Non, guidée par son affection juvénile, elle murmura :

— Il doit tout savoir. Il fera justice.

Il, c’était Massiliague.

Aussitôt dit, aussitôt fait. À reculons, la jeune fille contourna de nouveau le rocher, puis avec des précautions infinies, elle se dirigea vers la tente du Marseillais.

Autour de celle-ci régnait le silence comme partout ailleurs.

La portière de toile était relevée pour laisser pénétrer à l’intérieur l’air tiède de la nuit, et les rayons de la lune, tamisés par l’étoffe, permettaient de distinguer confusément Scipion, étendu tout habillé sur une natte.

Il dormait.

Un moment, Vera hésita, mais elle eut un geste volontaire, énergique.

— C’est le salut de tous qui est en jeu, fit-elle à haute voix. Les convenances habituelles ne doivent pas m’arrêter.

Et délibérément elle entra, s’approcha du dormeur et lui frappa sur l’épaule.

Ah ! Scipion Massiliague connaissait le repos du juste, car il ne bougea pas et continua son somme, la bouche entr’ouverte distillant une paisible respiration.

La jeune fille le secoua de nouveau. Peine inutile. Agacée, elle réunit toutes ses forces et balança la couchette comme eût pu le faire une mer agitée.