Page:Ivoi - Massiliague de Marseille.djvu/298

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moment, chef… Vos paroles m’ont fait l’effet d’un coup de fouet… Marchons !

Et, arrachant une feuille de cactus qu’il se mit à mâchonner, en dépit de son amertume, pour tromper les réclamations de son estomac, Pierre s’éloigna à grandes enjambées.

« Brave cœur ! » murmura Francis.

Puis lui-même imita son compagnon.

Hélas ! les prévisions de Pierre devaient se réaliser.

Durant deux nuits encore, les Canadiens épuisèrent leurs dernières forces à suivre la trace de Dolorès ; mais, le matin du quatrième jour, ils se laissèrent tomber, exténués, près d’une mare, seul vestige humide conservé par un trou profond dans le lit d’une rivière desséchée.

Tous deux burent abondamment. Mais ensuite une sorte de torpeur les envahit. Une sueur glacée ruissela sur leurs fronts. Pendant de longues heures, ils s’agitèrent en prononçant des paroles incohérentes, mêlées à plaisir par le délire de la faim.

À cette crise succéda une période d’abattement.

Un lourd sommeil, avant-coureur de la mort, abaissa leurs paupières de ses doigts de plomb, et ils demeurèrent inertes, insensibles, vivants encore de la vie végétative, mais morts moralement.

Selon toute apparence, ils ne devaient sortir de cet état que pour entrer dans l’inconnu de l’éternité.

Cependant, — au bout de combien de temps ? ils n’auraient su le dire, — tous deux rouvrirent les yeux, avec l’impression qu’une boisson chaude tombait dans leur estomac, rappelant la vie prête à s’enfuir.

Leurs regards troubles perçurent confusément des ombres s’agitant autour d’eux et une voix rude résonna à leurs oreilles :

— Ils reviennent à eux, sergent.

— C’est bien, encore un peu de bouillon… On va les ramener au campement… là, le médecin major achèvera de les remettre sur pied…

— Ah çà ! bégaya Pierre, qu’est-ce que c’est que ça ?

Sa voix était faible comme celle d’un enfant. Elle fut entendue néanmoins et l’organe déjà entendu tout à l’heure reprit :

— Sergent, en voilà un qui remue la langue.

Ces paroles achevèrent de dissiper le brouillard qui obscurcissait la pensée des chasseurs.

Leurs regards s’éclairèrent, la lucidité leur revint