Page:Ivoi - Massiliague de Marseille.djvu/303

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L’autre, en costume civil, attira immédiatement les regards de Francis.

C’était Joë Sullivan en personne, Joë Sullivan auquel le liait, pour quelques semaines encore, l’engagement signé par lui.

Il eut un frisson de colère.

Là, à portée de sa main, se tenait l’homme qui avait fait de lui un agent de trahison, le maître de sa vie durant une année, le vrai coupable dont il portait la peine.

Un moment, ses yeux s’injectèrent de sang, il fut sur le point de crier sa haine. À son esprit se représenta le doux visage de Dolorès Pacheco, qui à cette heure sans doute l’avait chassé de sa pensée et se croyait généreuse en accordant un oubli dédaigneux à son meurtrier.

Ah ! comme il aurait bondi sur Joë avec joie, comme il l’aurait étranglé de ses mains puissantes !

Mais sa loyauté simpliste parla plus haut que sa colère.

Elle lui rappela qu’il était l’engagé du Nordiste ; que toute révolte serait seulement une trahison nouvelle, et il baissa la tête, éteignit la flamme de son regard, se contraignit à l’impassibilité pour se présenter devant son chef abhorré.

À peine avait-il dompté cette tempête intérieure que le cheval du sous-officier stoppa à trois pas du dolmen ; le militaire porta la main à son képi et respectueusement :

— Capitaine, notre reconnaissance n’a donné d’autre résultat que la rencontre de deux hommes qui mouraient de faim.

— Hein ?

— Ceux-ci, que nous avons amenés afin que vous les interrogiez.

Cela dit, il se retourna et ordonna laconiquement au Canadien :

— À terre.

Francis exécuta le mouvement commandé. De son côté, Pierre se laissait glisser à bas du cheval qui l’avait porté jusque-là.

Le capitaine ouvrait la bouche ; mais une exclamation de Sullivan arrêta la parole sur ses lèvres :

— Gairon !

S’il s’était trouvé inopinément en présence de Joë, le brave chasseur se fût assurément troublé, il aurait