Insensible, inconsciente, elle n’apercevait plus ses gardiens, elle ne ressentait plus les choses qui meurtrissaient sa chair contre le pommeau de la selle.
À cette heure même, sur le front de bandière du camp, deux hommes se promenaient.
C’étaient Francis Gairon et son engagé.
Tous deux, semblaient de fort belle humeur. Chacun portait en bandoulière une excellente carabine américaine, don de la munificence de Sullivan.
L’agent nordiste avait voulu rendre des armes aux chasseurs en leur attribuant celles-ci, que la maladie avait privé de leurs propriétaires.
Car le désert est souvent fatal à ceux qui ne sont pas acclimatés. Une fièvre pernicieuse, dite « fièvre de la prairie », analogue à la fièvre hématurique du Soudan, terrasse le voyageur novice.
On s’en était bien aperçu dans la milice. Des vides s’étaient produits parmi les rangs. Heureux ceux qui, n’ayant pas succombé sur place, avaient pu être évacués sur les forts établis en bordure du désert.
C’est donc à la fièvre que les Canadiens devaient de posséder à nouveau des armes.
Décidément la journée avait été bonne pour eux. La Mestiza était libre, leurs carabines leur étaient rendues, que pouvaient-ils désirer de plus ?
Parfois, dans un besoin d’expansion, de bruit, Gairon interpellait un des factionnaires veillant à la sécurité du camp.
— Hé ! garçon, on va bientôt vous relever, vous en profiterez pour vous aller coucher.
Et le milicien riait en répliquant :
— Comme vous le dites, chasseur, je me promets un somme sérieux.
Mais Pierre les interrompit soudain.
— Écoutez. Gairon prêta l’oreille.
Un roulement sourd retentissait au loin.
— Un galop de chevaux, murmura-t-il.
— Oui.
— De chevaux de régiment même, reprit le Canadien après une seconde d’attention ; des mustangs sauvages ou des coursiers indiens n’auraient pas une allure aussi régulière.
« Des miliciens qui rallient le camp, il n’y a rien là qui puisse nous inquiéter.