Page:Ivoi - Massiliague de Marseille.djvu/321

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Cependant, en dépit de son indifférence affectée, Francis demeura sur place, les regards fixés dans la direction d’où venait le son.

Qu’attendait-il ? Lui-même eût été incapable de répondre à la question, mais au fond de son être, une angoisse inexplicable venait de naître, accrue à mesure que le bruit grandissait.

Le crépuscule voilait les environs de sa cendre grise, limitant la portée du regard.

Soudain, aux confins du cercle visuel, des formes plus sombres se découpèrent dans la pénombre.

Elles grandirent, se précisèrent. Un groupe d’hommes et de chevaux passa en coup de vent devant les chasseurs…

Mais si vite qu’ils eussent dépassé Francis, celui-ci avait eu le temps d’entrevoir une silhouette humaine, ballottée en travers de la selle de l’un des cavaliers.

Que se passa-t-il en lui ? Quelle lumière intérieure lui fit reconnaître cette forme vague ? Mystère.

Le cœur a de ces perspicacités inexplicables.

Toujours est-il que l’athlétique Canadien chancela, qu’il s’appuya sur l’épaule de Pierre pour assurer son équilibre et qu’il murmura :

— Elle ! Elle ! Par la Madone, elle s’est fait prendre.

Mais cette faiblesse ne dura qu’un instant.

Le chasseur se redressa de toute sa hauteur et s’adressant à son engagé :

— Pierre, lui dit-il, tu sais que depuis longtemps j’ai déchiré l’acte qui liait ton sort au mien.

— Oui, chef ; seulement, moi je l’ai recollé.

— Oui… tu es un brave cœur, un fidèle compagnon… mais l’heure est terrible. Je vais entreprendre une chose où j’ai quatre-vingt-dix-neuf chances sur cent de trouver la mort. C’est la lutte d’un homme contre un peuple. Je ne veux pas t’entraîner à ma suite dans cette aventure, que ma raison elle-même qualifie de folle. Donc, je te le répète, tu es libre.

— Si je veux, gronda l’engagé.

— Tu es libre, te dis-je. Et nul n’aura le droit de te critiquer si tu te sépares de moi, car tu es engagé, non pas à servir les projets insensés que me dicte mon cœur, mais à être mon compagnon de chasse.

Il s’arrêta. Pierre venait de lui saisir le bras.

— Écoutez, chef, voilà dix années que nous parcourons la prairie ensemble. Indiens, bêtes féroces,