un peu l’inflexion respectueuse des paroles, mais le resinero ne s’en aperçut pas.
Il se rengorgea, enfla ses joues et, d’un ton protecteur :
— Je sais, Cristobal, que je puis compter sûr toi. Quand je te confiai la surveillance de l’exploitation de ma propriété, la Madone de Guadalupe m’était apparue durant mon sommeil. Elle m’avait dit : « Un surveillant fidèle est en route pour se présenter devant toi. Aie confiance en lui. » Quand tu es venu, je t’ai accueilli avec empressement, j’ai refusé de voir tes certificats. Quel certificat aurait valu la recommandation de la noble Dame de Guadalupe ? Aucun, n’est-ce pas ? Et la Madone m’a récompensé de ma confiance en triplant la récolte de mes resinerias.
Le mulato aurait pu répondre que son activité, son intelligence étaient bien pour quelque chose dans cet heureux résultat ; mais sans doute il avait étudié son maître et il se borna à prononcer respectueusement :
— Notre-Dame de Guadalupe est le plus habile des resineros.
— Bien pensé et bien dit ! s’écria joyeusement Ramon. Des présomptueux ne manqueraient pas d’affirmer qu’eux seuls méritent l’éloge ; j’ai connu des gens de cette trempe.
— En est-il vraiment ? soupira Cristobal d’un ton pénétré.
— Oui, honnête mulato, oui, il y en a pour le malheur des hommes et des nations. L’esprit du mal a mis en eux son orgueil. Mais laissons ces êtres gonflés de vanité et écoute-moi bien.
Alors, Ramon, avec une prolixité rare, raconta à son intendant la visite reçue par lui.
— Le révérend Forster, gouverneur du Texas, conclut-il, tient à reprendre les captifs évadés du fort Davis. Si la bonté divine les amenait par ici, nous pourrions acquérir des droits à la reconnaissance du gouverneur. Or, remarque qu’il n’y a rien d’impossible. Nous sommes pieux et la Madone, dans sa grâce, songe peut-être à nous les livrer. Donc, veillons.
— Je veillerai, señor, promit Cristobal.
— Parfait. Maintenant, passons aux affaires. Tu recueilles la sève dans cette resineria ?
— Oui, señor.
— Quand as-tu commencé ?
— Il y a une heure environ.