— Alors, les premières calebasses sont à peine remplies ?
— En effet.
La question du resinero, étrange dans sa forme, était cependant parfaitement justifiée.
La récolte du caoutchouc s’opère, en effet, de façon primitive. On incise la liane productive ; sous l’ouverture, on place un récipient, naguère une calebasse, — le nom est resté, — la sève coule goutte à goutte. Un récipient empli, on le remplace et ainsi de suite. Tout l’art de la récolte consiste à extraire la plus grande quantité de sève possible sans nuire à la santé de la plante.
— Et la « résine » est-elle de belle qualité ? demanda enfin l’hidalgo.
— J’allais m’en assurer, quand votre signal a retenti, señor.
— Bon, nous allons voir cela ensemble.
Et, portant derechef son sifflet à ses lèvres, don Ramon en tira plusieurs sons brefs, modulés de façon particulière.
Cristobal n’avait pu réprimer un mouvement nerveux. Sur son visage apparut une soudaine inquiétude. On eût dit qu’il voulait s’élancer sous bois, qu’il n’osait quitter son maître.
— Tu as huit peones occupés ici ? reprit l’Espagnol au bout d’un instant.
Le trouble du mulato augmenta encore à cette question si simple.
— Oui, señor, balbutia-t-il, oui.
— On dirait que tu n’en es pas certain ?
— Si, si, j’en demande pardon à Votre Seigneurie ; mais l’interrogation m’avait surpris au moment où je supputais en moi-même le rendement probable et…
— C’est bon, c’est bon… ne te défends pas. Je connais ton zèle, dont la Madone s’est portée caution… je plaisantais.
Deux travailleurs sortaient à cet instant du fourré.
Sur une claie, brancard primitif, étaient alignés des récipients de bois où tremblotait un liquide sirupeux.
L’hidalgo regarda. Il eut un cri :
— Mais il y a plus de huit calebasses !…
Et, les comptant :
— Huit, dix, douze, quatorze, seize… seize en une