Page:Ivoi - Massiliague de Marseille.djvu/363

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

heure… mais, malheureux, vous allez tuer les lianes !

— Non, non, señor, dit l’un des ouvriers, on a incisé avec précaution…

— Alors, comment se fait-il qu’en si peu de temps chacun de vous ait pu remplir deux calebasses… Car vous êtes seulement huit dans cette resineria.

Le peone regarda Cristobal ; puis, avec un accent bizarre :

— En effet, señor, huit.

— Seulement, s’empressa d’ajouter le mulato, j’ai constaté une surabondance de sève vraiment miraculeuse…

Il n’avait pas achevé que don Ramon levait les bras au ciel :

— Miraculeuse, avez-vous dit ? Oui, cela doit être. La faveur de la Madone est sur moi. C’est elle qui a chargé les lianes de tant de sève, afin d’enrichir son féal et dévoué.

Il empoigna son chapelet, toujours fixé à sa ceinture, et l’égrena rapidement.

— Oui, un miracle… c’est bien cela… la multiplication du caoutchouc… ; qu’est une pareille misère pour la Dame du ciel ? Rien… un jeu d’enfant. Elle a voulu marquer son estime particulière, voilà tout… Cristobal, tu feras porter une brassée de cierges à l’autel de la très Sage… Il ne faut pas marchander la cire à qui ne marchande pas le caoutchouc.

Tout joyeux, le resinero lança un retentissant :

— Continuez, braves gens !

Et, piquant des deux, se dirigea vers la resineria la plus voisine.

Le mulato le suivit des yeux, respira fortement comme un homme qui vient d’échapper à un danger. Après quoi, s’adressant aux peones :

— Lopez, Felipe, remettons-nous au travail. Le miracle explique tout.

Sans doute ses interlocuteurs comprirent le sens de ces paroles énigmatiques, car un sourire éclaira leurs faces bronzées. Se chargeant de leur claie, ils rentrèrent dans le fourré.

Un moment encore, Cristobal parut se consulter. Enfin, il eut un geste insouciant et, à son tour, il s’enfonça dans l’une des sentes ménagées à travers la resineria.

Le chemin affectait une forme droite, coupée de distance en distance par des sentiers perpendicu-