s’adressant au mulato, le miracle a-t-il continué ? La production de la sève a-t-elle été du double de la normale durant tout le jour ?
L’intendant, embarrassé, regarda Scipion ; celui-ci fit de la tête un signe affirmatif.
Son visage était si calme, si dépourvu d’inquiétude, que Cristobal n’hésita plus et répondit avec assurance :
— Oui, señor, le miracle a continué.
Ramon porta son chapelet à ses lèvres, et ravi :
— Voyez, braves gens, la bienveillance de la Madone, chacun de vous a récolté comme deux… Je veux vous récompenser…
Il s’interrompit soudain.
— Mais je n’ai pas la berlue… Vous êtes plus de huit !
Du coup, la face du mulato pâlit sous sa teinte brune. De nouveau, il adressa un coup d’œil suppliant au Marseillais, lequel secoua énergiquement la tête en manière de négation.
— Vous êtes plus de huit ! répéta l’hidalgo.
Comme Cristobal gardait le silence, Massiliague fit un pas en avant, et de sa voix claironnante :
— Pardon, señor, nous sommes seulement huit. Il vous sera facile de vous en convaincre en faisant l’appel.
— Qui es-tu, toi ?
— L’un des peones engagés pour la récolte par le señor Cristobal.
— Tu as une audace incroyable. Je vois huit rangs de deux… cela fait seize.
À la profonde stupéfaction de tous, Scipion ne se démonta pas. En dépit de l’évidence de l’affirmation du resinero, il redit :
— Veuillez procéder à l’appel, señor, et il me sera possible de vous rapporter les paroles de la Dame du Ciel.
— De la Dame du Ciel ! clama Ramon en écho.
— Oui, señor, d’elle-même. Mais encore une fois, consentez à faire l’appel.
Ramon, nous l’avons dit, avait le cerveau farci de légendes. Il se sentit incapable de résister à l’homme qui, avec une sérénité implacable, venait de jeter le nom de la Dame toute-puissante dans la conversation, et d’un geste, il invita l’intendant à donner satisfaction à son interlocuteur.