Page:Ivoi - Massiliague de Marseille.djvu/373

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Alors, le Marseillais s’approcha de don Ramon médusé, pétrifié par cette multiplication inattendue de peones.

— Señor, fit-il gravement, permettez-moi maintenant de vous apprendre ce que la Dame attend de vous.

— Oui, oui, parlez, amigo. Rien ne me paraîtra difficile pour remercier l’adorable protectrice de son inestimable faveur.

Derechef, le Provençal se frotta les mains. Il tenait son auditeur.

— Donc, reprit-il, il faut que vous sachiez une vérité peu connue : Tout homme est double.

— Ah ! balbutia Ramon, du ton de la plus vive surprise.

— Vous-même, n’avez-vous pas soupçonné parfois cette réalité ?

— Si… non… peut-être… bredouilla le resinero, très embarrassé par la question.

D’une part, il voulait rester sincère, n’ayant jamais senti qu’il pût être à l’état de dualité, et, d’autre part, il lui en coûtait d’avouer que lui, l’hidalgo, le maître, il ignorait une chose que connaissait un peone.

Scipion, du reste, s’empressa de mettre fin à sa perplexité :

— Il vous est arrivé certainement, señor, de vous proposer de remplir tel ou tel devoir, d’accomplir telle ou telle action ?

— Oh ! oui ! glapit Ramon, ravi de pouvoir affirmer.

— Bon. Quand vous étiez sur le point de prendre une décision dans un sens, n’avez-vous jamais eu l’impression qu’une voix intérieure vous incitait à vous décider dans un sens contraire, et produisait, à l’appui de ses dires, des arguments contraires à ceux que vous aviez formulés vous-même ?

— Si, si, en effet.

— Eh bien ! señor, c’était là la voix de votre double.

— De mon double !

Donner une idée de l’intonation de don Ramon est impossible.

— De mon double !… J’ai un double.

C’était du ravissement et de la terreur.

Massiliague profita de son avantage pour conduire à fond sa « galéjade ».