Page:Ivoi - Massiliague de Marseille.djvu/402

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— Et ?

— Je suis arrivé sans bruit à la nage, j’ai chaviré la barque. Deux des bélîtres ne savaient pas nager… ils ont coulé comme des pierres… Quant aux autres, deux ont le dos troué par mon couteau, ce qui les empêche de flotter. Le dernier m’a échappé… Je ne le regrette pas. J’espère qu’il rejoindra ses associés et qu’il leur apportera une crainte salutaire de nous.

L’espérance du Canadien s’était sûrement réalisée, car tout le bruit avait cessé du côté de l’ennemi.

— Savez-vous ce que je me figure ? reprit l’engagé.

— Non, mais apprenez-nous-le.

— Volontiers. Les Nordistes ont envoyé un détachement à la recherche d’autres canots afin de nous attaquer en force.

— C’est possible.

— Ils ne bougeront donc pas pendant une demi-heure au moins.

— En effet.

— Dès lors, rien ne nous retient plus ici. L’heure nécessaire pour assurer la fuite de la doña Mestiza est écoulée. Profitons du répit qui nous est laissé et tâchons de tirer notre peau d’ici.

Il n’eut pas besoin de développer sa pensée.

Rampant, se dissimulant derrière les roseaux, les trois hommes s’éloignèrent, lentement d’abord, plus vite lorsqu’ils se crurent hors de vue.

Rien n’entrava leur retraite.

Parvenus au Salto de Agua, ils firent halte.

Une barrière rocheuse limitait le marais de ce côté, mais cette barrière elle-même, fendue dans toute sa hauteur, par une convulsion volcanique sans doute, se creusait en un précipice à pic, au fond duquel un torrent, le Rio Niño, bondissait.

Large de quatre mètres à peine, la faille du Salto n’en était pas moins infranchissable.

Mais les chasseurs de la prairie ne connaissaient pas d’obstacles.

Grâce à son lasso lancé autour d’une pointe de roc qui se dressait verticalement de l’autre côté du gouffre, Pierre établit un pont dangereux mais possible, auquel un homme pouvait confier sa vie.

Par exemple, une complication se présenta aussitôt.

Pour franchir le vide, il fallait s’accrocher par les mains à la lanière tendue et progresser ainsi d’une cime à l’autre.