Page:Ivoi - Massiliague de Marseille.djvu/406

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s’y trouvait ; mais dans un coin s’allongeait une natte de paille tendue sur un cadre de bois supporté par des pieds massifs.

On y installa le Parisien, puis Pierre parla :

— Señor Fabian, veillez sur notre ami… Je vais aux provisions, car je ne sais si vous êtes comme moi, mais j’ai l’estomac dans les talons.

L’hacendado inclina la tête et, tirant un escabeau grossier près de la couchette de Cigale, il s’assit :

Entre ses paupières mi-closes, le blessé suivait tous ses mouvements. Il le vit fixer sur lui un regard pensif. Il l’entendit murmurer :

— Je suis fou… La blessure de ce brave enfant a réveillé mes souvenirs, mes regrets… Mon fils, hélas ! mon fils ne me connaîtra jamais.

Tout en parlant, Fabian sortait son portefeuille et y prenait une lettre jaunie par le temps.

Il la considéra longuement et murmura :

— La dernière lettre de mon frère… Que Dieu lui pardonne, comme je lui pardonne moi-même.

Comme mû par une force intérieure, l’hacendado se leva, alluma une lumière et se prit à lire à haute voix :

« A M. Fabien Roseraie, à Paris.

« Mon très cher frère, au moment de rendre ma belle âme au diable, triste cadeau que je lui fais là, je veux que tu comprennes d’où est venue la haine dont je t’ai poursuivi. « Tu as confisqué toutes les joies de la famille. Dès le lycée, tous les succès t’appartenaient tandis que je récoltais tous les pensums. Plus tard, tes entreprises prospérèrent alors que les miennes périclitaient.

« Plus que cela encore. Mon cœur alla vers une jeune fille. La fatalité a fait que tu l’as aimée aussi et qu’elle t’a préféré à moi. Tu l’as épousée, et moi, moi dédaigné, seul, abandonné, j’ai juré que tu ne conserverais pas ce bonheur insolent dont j’étais frustré.

« Voilà pourquoi j’ai enlevé ton fils, ton Fabian, auquel tu avais donné ton prénom avec le fol espoir paternel de créer ainsi un lien de plus entre lui et toi.

« Ta compagne est morte de chagrin. Tu t’es exilé. Il paraît qu’au Mexique, ta chance infernale t’a suivi