Page:Ivoi - Massiliague de Marseille.djvu/407

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et que tu t’es créé un nouveau bonheur. En fermant les yeux, j’aurai la joie de le détruire une dernière fois, de jeter sur lui l’ombre des souvenirs cruels.

« Ton fils, je l’ai abandonné dans Paris. Qu’est-il devenu ? Je ne m’en suis jamais inquiété. Mais je te connais assez pour savoir que désormais tu t’en inquiéteras, que tout enfant trouvé, tout orphelin fera battre ton cœur, que tu espéreras sans cesse le revoir, et que ces alternatives d’espérance et de désillusion te désoleront.

« C’est ce que je souhaite en bouclant ma valise pour un autre monde, peut-être meilleur, à coup sûr pas pire que celui dont je sors.

« Reçois l’adieu d’un frère ravi de mourir pour t’oublier. »

— Comme il me haïssait, murmura tristement l’hacendado… Ah !… post-scriptum effroyable.

Et reprenant sa lecture :

« Post-scriptum. — Je veux te laisser une chance d’être un heureux père. Avant de lancer ton Fabian dans le hasard, j’ai tatoué sous son bras gauche, à hauteur de l’aisselle, deux lettres : F. R… tu saisis : Fabian Roseraie. Qui sait ! tu as une telle chance que peut-être tu le rencontreras un jour… »

Une larme coula sur la joue du señor Fabian.

— Je suis insensé, répéta-t-il, insensé. Ce jeune Parisien blessé, compagnon inconnu de voyage, me bouleverse à ce point. Je rouvre la blessure de mon âme, je me déchire le cœur… Folie ! Folie ! Avec colère, il remit la lettre dans son portefeuille et enfonça celui-ci dans sa poche.

Un instant, il demeura immobile, puis comme malgré lui, il se rapprocha de la natte sur laquelle gisait Cigale. Il considéra le jeune homme.

— Mon Fabian aurait son âge… Il pourrait être brave, gai, comme celui-ci.

D’une voix étrange, semblant parler en rêve :

— C’est ainsi, qu’il m’apparaîtrait… La voix du sang, chimère de l’imagination, ne m’avertirait pas que je contemple mon enfant… Il me faudrait chercher sous son bras les lettres tracées par la haine d’un frère… les chercher…

Il eut un geste violent :