Page:Ivoi - Massiliague de Marseille.djvu/56

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encore. Car je devrai, je l’ai promis, aller à la Mestiza, à cette jeune fille que je vénère à l’égal d’une sainte, la supplier d’accepter mon dévouement feint, lui voler sa confiance pour mieux la trahir. Deux mille dollars, qu’est cela ? Pour être libéré de mon fatal engagement, je donnerais en outre ma petite maison du lac Ontario, les quelques économies réalisées pour la vieillesse, ma carabine elle-même, cette fidèle compagne de chasse et de guerre.

Peu à peu le ton du Canadien s’élevait et sa plainte bruissait sous la futaie avec des résonnances lugubres.

Soudain il se tut.

Le crépuscule commençait à tomber, et dans la pénombre, avant-garde de la nuit, un piaulement aigu de busard en chasse avait retenti.

Francis eut un geste violent, puis élevant sa main droite à hauteur de sa bouche, il répéta le même cri à deux reprises différentes.

Si parfaite était l’imitation que l’oreille exercée d’un Indien même n’aurait pu soupçonner que le signal sortait de lèvres humaines.

Puis, les deux Canadiens, appuyés sur leurs armes, demeurèrent immobiles, semblant attendre ceux dont le cri avait annoncé l’approche.

Ils n’attendirent pas longtemps.

Des ombres silencieuses se glissèrent parmi les arbres, les buissons. Toutes firent halte à quelques mètres du chasseur. Un homme seul s’avança jusqu’auprès de Francis.

C’était Joë Sullivan.

— Eh bien, brave chasseur, vous venez de l’hacienda Rosales ?

— Oui, monsieur Sullivan et même…

— Massiliague n’y avait pas encore paru ?

— Vous savez cela ? fit le géant blond avec étonnement.

— Ma foi oui, Massiliague lui-même me l’a appris.

— Massiliague ?

— Sans doute. Le llano de los Cristianos, qu’il devait traverser, est impraticable à cause de la sécheresse. Notre Marseillais a été forcé de contourner le désert, ce qui l’a retardé. À cette heure, il doit entrer à l’hacienda, au milieu des cris d’allégresse et des bénédictions des maîtres et des peones.

Francis secoua la tête :