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MILLIONNAIRE MALGRÉ LUI.

Le sommeil le plus profond n’eût pas résisté à pareil tintamarre.

Mona se réveilla donc en sursaut.

Sa première impression ne fut pas bien nette.

— Tiens ! on tire le canon. Ce n’est pas parce que je pars aujourd’hui ?… Oh non ! Papa m’aime bien, mais il n’irait pas jusque-là !

Puis les pensées se succédant plus précises dans son cerveau :

— Si c’étaient les Japonais qui attaquent Sakhaline…

Elle battit des mains.

— C’est ça qui serait amusant… D’abord plus de départ possible… Tante Olga se passerait bien de moi à Saint-Pétersbourg… et moi, oh ! moi… En temps de paix, papa me laissait tirer au revolver ; en temps de siège, il me permettrait bien un mousqueton… et je ferais des cartons sur les Japonais, ces fous qui osent s’attaquer au Tzar… Oh ! ce que l’on s’amuserait !

Ayant perdu sa mère toute enfant, Mona avait été élevée par son père, et, au contact du général, elle avait pris une nature presque masculine. Il y avait chez cette petite fille le courage et la décision d’un homme, ce qui n’excluait en rien la grâce et la joliesse.

En deux temps, elle sauta du lit, s’habilla.

Puis elle bondit dans la chambre voisine où Macelle Lisbe, terrifiée par le vacarme toujours grandissant, tremblait de tous ses membres.

— Oh ! Mona, fit cette dernière dont les dents s’entre-choquaient avec un bruit de castagnettes, qu’est-ce que c’est que tout cela ?

Sa mine effarée, sa terreur portèrent à son comble la gaieté de la fillette. Elle ne put résister au plaisir de faire une niche énorme à la peureuse Allemande, et d’un ton terrible elle clama :

— Les Japonais montent à l’assaut !… Sauve qui peut !

Et tandis que le professeur de français de Dantzig poussait des cris aigus qui dominaient tous les bruits, Mona saisit un oreiller et le jeta à toute volée sur Lisbe.

— Gare la bombe !

Puis elle s’enfuit, laissant la lourde personne se débattre contre le coussin de plume que, dans l’affolement de la terreur, elle prenait de bonne foi pour un obus, et sous lequel elle gémissait :

— Une bombe sur moi… Je suis morte.

Riant aux éclats, Mona gagna le rez-de-chaussée. Mais là, elle se trouva face à face avec son père qui, les sourcils froncés, le visage sombre, discutait avec M. Kozets, livide, écumant, ahuri.

Si absorbés étaient les deux hommes qu’ils ne s’aperçurent même pas de