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Page:Ivoi Les cinq sous de Lavarède 1894.djvu/100

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L’ODYSSÉE D’UN PRÉSIDENT.

d’arriver là où miss Aurett était peut-être en danger. Il usa d’un stratagème :

— Mes amis, nous allons ici nous diviser, et vous pénétrerez au château de la Cruz par petites fractions… Nos frères y sont en groupes, reconnaissez-vous les uns les autres… moi, je vais devant, seul, afin que nul d’entre vous ne coure de risque… C’est la place du chef d’être le premier au danger ! Suivez-moi prudemment et attendez pour agir tous ensemble que je donne le signal convenu.

Jamais chef de conspiration n’ayant opéré ainsi, Lavarède, — que ses Costariciens appelaient « La Bareda » — fut salué de vives acclamations.

— Vive le libérateur des peuples !…

Les échos de la Cordillera de Las Cruces renvoyèrent ces cris à la Llanura Alta de Canas Gordas. Et pendant que le señor Liberador filait au trot allongé de Matagna, d’autres partisans descendaient les pentes voisines pour se joindre à la promenade militaire d’où allait surgir une révolution.

Dans sa hâte de voler vers Aurett, Lavarède oublia de se munir d’un revolver. Il atteignit le château de la Cruz.

…Au moment même où la mule pénétrait dans le patio, José venait de rentrer dans la salle du rez-de-chaussée, où était prisonnière la pauvre Aurett.

— Choisissez, disant-il, de condamner votre père a mort ou de devenir ma femme.

Sur le pavé sonore et sec, les pieds de la mule firent comme un appel, auquel, inconsciemment, la petite Anglaise répondit.

Elle courut d’instinct vers la fenêtre. C’était un secours providentiel qui lui arrivait… au trot. Elle reconnut le cavalier. Malgré les efforts de José, qui l’enlaçait, elle ouvrit et cria :

— Armand !…

Dans sa situation désespérée, la rigide vertu britannique oublia les lois du cant ; elle ne cria pas : « Monsieur Lavarède ! » ; mais de son cœur, sans le vouloir, partit ce seul mot, résumant tout :

— Armand !…

Lavarède, d’un bond, franchit la barre d’appui et sauta dans la chambre. Sa main vigoureuse saisit José et l’envoya à l’autre extrémité de la salle, l’éloignant de sa victime miraculeusement sauvée.

— Monsieur, lui dit-il avec indignation, vous êtes une rude canaille ; mais moi vivant vous ne toucherez pas un cheveu de cette jeune fille !…