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LES CINQ SOUS DE LAVARÈDE

— Ils disent, illustrissime général, que par ton origine française, tu es latin comme eux, comme nous ; et que l’acclamation populaire t’a désigné pour être le président de cette République de Costa-Rica que tu as délivrée des tyrans… Vive le président La Bareda !…

Cette fois, notre ami tombait des nues.

— Allons, bon !… me voilà président à présent… quel dommage que je ne sois pas monté sur un cheval noir, ce serait complet !

— Que voulez-vous dire ? demanda miss Aurett qui ne le quittait pas.

— Rien, miss… un souvenir de mon pays.

Les corps constitués allèrent ensuite présenter leurs hommages à la petite Anglaise. On l’appelait « madame la présidente » gros comme le bras. Elle était ravie et s’amusait infiniment. Murlyton allait esquisser une protestation qui, du reste, eût été vaine ; elle se serait perdue dans le brouhaha et le tumulte universel. Aurett l’arrêta :

— Papa, vous ne devez en rien contrecarrer les actions de M. Lavarède… Ne dites donc pas un mot, ce serait une déloyauté.

Murlyton, un peu abasourdi, demeura bouche béante en face de ce spectacle multicolore, chatoyant et archibruyant, fait pour étonner ses yeux et ses oreilles d’Anglais calme, gris et terne. Un officier s’approcha respectueusement d’Armand.

— Excellence, l’armée attend que vous lui fassiez l’honneur de la passer en revue.

— J’y vais, dit dignement Lavarède en piquant des deux au trot de sa mule Matagna.

Le petit nombre des soldats sous les armes le surprit tout d’abord ; il se souvenait de la leçon donnée par Concha.

— Mais Costa-Rica, dit-il à l’officier, peut mettre cinq cents hommes sur pied en temps de paix… où sont donc les autres ?…

— Excellence, il ne reste plus que ceux-ci… les autres sont en face, colonels ou généraux, suivant qu’ils ont eu plus ou moins de chance dans les précédents pronunciamientos.

— Parfait, répondit le président en gardant son sérieux, nous allons arranger cela.

Et s’étant placé face à la troupe, il dit en pur et sonore castillan :

— Soldats, vous n’avez pas voulu tirer sur le peuple, vous êtes nos frères… Il faut que ce jour soit heureux pour tous… Demandez-moi ce que vous voudrez… Comme je n’ai rien promis d’avance, je tiendrai plus que les autres… Dites, qu’est-ce que vous désirez ?