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Page:Ivoi Les cinq sous de Lavarède 1894.djvu/110

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L’ODYSSÉE D’UN PRÉSIDENT.

— De l’avancement ! répondit un chœur unanime.

— Très bien !… Je vous nomme tous généraux, passez à droite, et vive la Liberté !

— Viva La Bareda !…

Ce cri était poussé non seulement par les soldats qui prenaient le pas de course pour traverser la place, et rejoindre les autres veinards, ceux des premières promotions, mais aussi par tout le peuple qui, du haut des maisons, des terrasses, des fenêtres, des balcons, avait vu et compris cette scène, où l’Égalité n’était pas un vain mot. Lavarède, ayant satisfait aux vœux des soldats, pénétra avec sa suite dans le palais présidentiel où ses appartements étaient préparés. Vers le soir, toute la ville flamboya des rayons blancs de l’électricité. Il crut d’abord à une illumination spéciale. Non pas, San José est éclairé à la lumière électrique depuis cinq ans.

— Eh mais ! dit-il au conseiller Rabata — qui occupait les fonctions de secrétaire auprès de sa personne — ma capitale n’est pas aussi arriérée qu’on pourrait le croire.

— Elle l’est beaucoup moins que vous ne le supposez ; car si Votre Excellence vent bien écouter ce que va lui dire le téléphone, elle saura que déjà un complot s’ourdit contre elle.

— Un complot pour me tuer ?

— Ici… oh jamais !… pour vous faire partir.

— Ah ! par exemple, j’en suis de ce complot ! j’ai fait aujourd’hui le bonheur de tous ceux qui m’ont approché, je n’ai pas perdu ma journée… mais puisque je peux tout, je pense que je puis aussi m’en aller.

— Tout, excepté ça… le président ne quitte pas le territoire… cela lui est interdit.

Armand fit la grimace. Au lieu de faciliter son voyage, sa grandeur devenait un obstacle.

— Voyons, mon cher secrétaire, voilà le soir venu, mes nouveaux sujets s’entassent à l’hippodrome de Mata-Redonda, ensuite tout le monde ira se reposer… Vous m’avez conduit en ce palais, je vais faire comme les autres, après le banquet, — car je pense que l’on est nourri comme président ? — et nous reparlerons de mon départ aussitôt après, car je n’ai pas l’intention de moisir chez vous.

— Cependant la Constitution ?…

— Comme celle de tous les pays, elle est faite pour être violée… d’abord, je ne suis pas naturalisé…

— Les députés ont voté.